Des dizaines de milliers de manifestants disent non au TGV Lyon-Turin dans le Val de Suse
Des dizaines de milliers de personnes, dont plusieurs dizaines d'élus, ont manifesté samedi dans le Val de Suse, dans le nord-ouest de l'Italie, contre le projet de ligne grande vitesse (LGV) Lyon-Turin, jugé néfaste pour l'environnement et d'un coût exorbitant.
En chaussures de marche et vêtements de pluie, militants associatifs, écologistes, syndicalistes, hommes politiques ou simples citoyens ont bravé le mauvais temps dans une ambiance bon enfant pour dire non à la LGV entre les deux villes.
Les organisateurs ont annoncé la présence de 80.000 personnes.
Quelque 200 Français avaient fait le déplacement "par solidarité", a indiqué à l'AFP Daniel Ibanez, l'un des coordinateurs des opposants à la LGV côté français.
En trois heures, les manifestants ont parcouru les 8 km qui séparent Suse de Bussoleno, plus à l'est, une myriade de drapeaux No-Tav (Treno ad alta velocita, TGV en italien) flottant dans une mer de parapluies.
"De la Vénétie au Val de Suse, la montagne est sacrée et il faut la respecter", proclamait notamment une banderole brandie par des manifestants.
Pour la première fois, près d'une centaine d'élus italiens, notamment le président du Sénat du Mouvement cinq étoiles (M5S) qui a cristallisé le vote contestataire aux législatives italiennes de fin février, participaient à cette manifestation en compagnie de membres d'autres partis, essentiellement de gauche, et d'élus du Val de Suse.
Marco Bertorello/AFP Des policiers gardent l'entrée du tunnel où se sont rassemblés des opposants au projet de TGV Lyon-Turin, le 23 mars 2013 à Chiomonte près du Val de Suse
Le sénateur M5S Marco Schibone, lui-même originaire de la vallée, avait déjà manifesté en tant que "simple citoyen". "Mais aujourd'hui, il y a un changement de portée puisque je suis (...) aussi ici en tant que représentant institutionnel. Ils nous ont toujours dit que nous étions une minorité, aujourd'hui on voit bien que nous nous rapprochons beaucoup plus d'une majorité", a-t-il indiqué à l'AFP.
Son groupe parlementaire va faire une "proposition de loi visant à annuler l'accord international signé par la France et l'Italie en 2001" sur ce projet, a-t-il dit. "Nous voulons aussi une commission d'enquête pour évaluer les dépenses" concernant la LGV, a-t-il ajouté.
Députés et sénateurs présents dans les rangs des protestataires avaient pu dans la matinée visiter un des chantiers de la LGV, à quelques kilomètres de Suse.
"C'est la première fois que des opposants au projet pouvaient approcher sans se faire refouler manu militari", a souligné M. Ibanez, estimant que les initiateurs du projet, "jusque là mené en grand secret", allaient maintenant "devoir jouer la transparence".
Alberto Perino, leader historique du mouvement No-Tav en Italie, s'est lui aussi félicité de la présence d'élus dans ses rangs.
"C'est une arme de plus pour notre bataille. (...) Cela fait 24 ans que nous luttons et maintenant nous sommes sûrs de vaincre", a-t-il estimé.
Parmi les manifestants, Diego Margom, coordinateur de la confédération syndicale Cobas pour la province de Turin, n'en démord pas: "C'est une question de santé publique, environnementale et sociale. Ce chantier aura un impact sur les nappes phréatiques, il y a un danger avec l'amiante (contenue dans les roches traversées par les foreuses du chantier) et la vallée est étroite, quand le train passera, il y aura des nuisances sonores pour les riverains".
"Ces travaux sont inutiles et absurdes et ont seulement des motivations spéculatives", a renchéri de son côté Salvatore Fiori, 63 ans, enseignant retraité venu de Lombardie et sympathisant du M5S.
La future LGV doit mettre Paris à quatre heures de Turin, contre sept actuellement. Cette "autoroute ferroviaire", combinant fret et trafic de voyageurs, dont le projet lancé en 1991, a été maintes fois ajourné, devrait entrer en service en 2028-2029.
Selon ses concepteurs, elle devrait à terme supprimer au moins un million de poids lourds par an sur les routes, mais les écologistes des Alpes jugent le projet démesuré par rapport au trafic.
lyoncapitale.fr, 25 mars
Ligne TGV Lyon-Turin : ce que l'Europe va réellement payer
Alors que le budget européen devrait diminuer sur la période 2014-2020, alors que la France et l'Italie sont engagées dans une baisse de leur dépense publique, où trouver 26,1 milliards d'euros ?
De notre envoyé spécial à Bruxelles.
Le 3 décembre dernier, François Hollande et Mario Monti donnaient une nouvelle impulsion à la ligne grande vitesse Lyon-Turin, s'accordant sur les participations de leurs pays pour la partie transfrontalière du projet : 2,9 milliards pour l'Italie, 2,2 milliards pour la France. L'un et l'autre s'entendaient aussi sur un point : l'Europe doit payer. 40% du tunnel transfrontalier selon eux, soit 3,4 milliards d'euros. Pour certains, la proportion paraissait déjà haute en décembre dernier. Ne l'est-elle pas encore plus, à présent que le Conseil européen a décidé de diminuer - pour la première fois de son histoire - le budget de l'Union européenne pour la période 2014-2020, à 960 milliards d'euros ?
Transports : 23 milliards en 7 ans
Certes, ces perspectives financières ont été rejetées par le Parlement, et la discussion n'est pas terminée. Il n'empêche, l'austérité à venir inquiète. A l'image du budget général, l'enveloppe transports a fait les frais de la discussion, passée de 31,7 milliards selon la proposition de la Commission à 23,1 milliards d'après le consensus dégagé au Conseil. Parmi cette somme, 10 milliards iront automatiquement aux nouveaux membres de l'Union Européenne, au Portugal et à la Grèce.
4 autres grands projets de transport
Présidente du parti Vert européen, Monica Frassoni ne croit pas en la réalisation du Lyon-Turin. « Presque rien n'a été fait, en termes de grandes infrastructures, depuis 20 ans », affirme-t-elle. « Je n'ai jamais vu un projet être financé à hauteur de 40% par l'Union européenne, renchérit Michaël Cramer, eurodéputé allemand (les Verts). Parmi les derniers exemples, la ligne traversant Vienne : 3% du montant a été payé par l'UE. Et pour Stuttgart-Ulm : 12 à 14% (les deux ouvrages font partie de la ligne grande vitesse est européenne, Paris-Bratislava, ndlr). C'est complètement fou. Si l'Union européenne payait 40% du tunnel, elle n'aurait quasiment plus les capacités de financer les autres projets. Or le Lyon-Turin n'est pas le seul projet pharaonique ». Bruxelles a en effet identifié quatre grands projets transfrontaliers prioritaires : le tunnel de base du Brenner (entre l'Italie et l'Autriche, rail), la ceinture de Fehmarn (entre l'Allemagne et le Danemark, rail et route), le canal Seine Nord Europe (entre la France et la Belgique, fluvial) et le rail Baltique (entre l'Estonie et la Pologne, rail).
« On va concentrer nos moyens », dit la Commission
Ce n'est qu'en 2014 que la Commission européenne va lancer un appel à projets aux États membres. C'est alors que la France et l'Italie déposeront une demande conjointe de financements pour le Lyon-Turin. Un collaborateur de Siim Kallas, commissaire en charge des transports, a cependant accepté de répondre à nos questions. Et le ton est résolument optimiste. « On va concentrer nos moyens là où la valeur ajoutée européenne est la plus élevée, et donc sur les projets transfrontaliers », nous a-t-il confié. Et le Lyon-Turin en fait naturellement partie. « Rhône-Alpes est la 2e région de France, que l'on veut connecter à la 1ere région d'Italie. Et le rail actuel date du 19e siècle ! Ces dernières années, on a beaucoup investi dans les routes et pas suffisamment dans le rail ». De plus, notre informateur explique les 3,4 milliards qui seraient versés par Bruxelles seront échelonnés dans le temps : environ 40% d'ici à 2020, 60% entre 2020 et 2025, date où le tunnel de 57 km devrait être mis en service.
Ces 8,5 milliards ne seront cependant pas suffisants. D'après l'estimation de la Cour des Comptes, ce ne sont pas moins de 26,1 milliards qu'il faudra au final débourser : 10 à 11 milliards sur le tronçon français, en amont, et 4,5 milliards côté italien, en aval. En Rhône-Alpes, trois tunnels devront être percés : Chartreuse, Belledonne et Glandon. Et là encore, des doutes planent quant à la capacité des États, qui se serrent actuellement la vis, de trouver les crédits suffisants. « L'Italie est déjà engagée dans un projet Rotterdam/Gênes via le St-Gothard. Ils n'arrivent déjà pas à payer celui-là, mais c'est sans doute plus facile pour eux d'en payer deux ! », ironise Michaël Cramer. De son côté, le ministère français des Transports ne fait pas mystère de sa volonté d'arracher des financements européens, pour sa partie nationale. Et là encore, la Commission répond par l'affirmative, estimant que sa contribution variera de 10 à 30%. « On réalisera ces projets au fur et à mesure des besoins. Tout ne sera pas fini en 2025 », précise le collaborateur de Siim Kallas.
Euro-vignette : les camions paieront !
Une piste à l'étude consiste à mettre à contribution le transport routier, via les péages. C'est au 2e semestre 2013 qu'entrera en vigueur l'euro-vignette pour les poids-lourds. Cette taxe qui correspond aux coûts induits par « la pollution atmosphérique et sonore, ainsi que la congestion routière », augmentera le prix du transport au km de 7,5% environ. Sera-ce suffisant ? « Augmenter trop fortement le péage des camions est impossible : il y a un plafond légal imposé par le droit européen. Deux fois par le passé, nous avons essayé, au Parlement, de relever ce plafond, mais ça n'a pas été possible à cause de l'opposition des gouvernements nationaux », peste Michaël Cramer. Mais avec les restrictions budgétaires, il y a fort à parier que les gouvernements s'entendent pour davantage solliciter le transport routier.
Source http://www.lyoncapitale.fr/Journal/univ ... ment-payer