Avenir de l'Artois Wrote:Pourquoi le tramway va dérailler
jeudi 09.02.2012, 14:00
C'est un dossier vieux de quatre ans. Le rêve des élus qui se voient en aménageurs du territoire : un tramway, deux lignes qui relieraient Hénin à Liévin et Béthune à Bruay.
Des dizaines de villes traversées, des dizaines de kilomètres de rail (37 au total), des dizaines de millions d'euros... Sauf que le projet risque bien de ne pas du tout aboutir.
Les finances.-Après deux années d'études, en 2008 et 2010, une aide de 57,6 millions d'euros pour la ligne Lens-Liévin-Hénin-Beaumont de l'État a été perdue, à cause de retards dans les discussions avec les élus. Le projet coûte au total 657 millions d'euros (hors taxes) : en ces temps de crise, la population, comme une partie des élus concernée, ne voit pas cela d'un très bon oeil. Dispendieux, le tramway ? C'est bien ainsi que les entreprises le jugent également : la contribution transports a augmenté voilà deux ans pour atteindre le seuil maximum, passant de 1,08 % à 1,80 %, ce qui a permis au Syndicat mixte des transports (SMT) de récupérer 20 millions d'euros. Une goutte d'eau ! D'autant plus que cette augmentation est valable si le projet débute en juin 2013 au plus tard. Avec le retard accumulé, cela paraît impossible. Les sommes demandées aux entreprises pourraient être remboursées, ce qui représente tout de même 60 millions d'euros, estimait en janvier le président du SMT.
Les autres financeurs sont la Région (150 millions d'euros), les communautés d'agglomération Lens-Liévin et Artois Comm, des opérateurs divers (EDF, GDF, etc.), le Fonds européen de développement régional, plus des prêts... Les retards.- La Chambre régionale des comptes revient dans le détail sur l'origine des retards, dans un rapport que s'est procuré France bleu Nord. Il a d'abord fallu choisir un maître d'ouvrage : neuf mois. Plus cinq mois pour la procédure générale. Le choix entre voie unique et voie double (cette option ayant été retenue) n'a été effectué qu'en octobre 2010 : deux ans ont été perdus. Il a fallu refaire une enquête publique, la première étant peu fiable (il manquait trop d'éléments à l'époque) : elle a été réalisée en 2010.
La maîtrise d'ouvrage.-La CRC note qu'une des raisons des retards était liée aux « hésitations du syndicat sur le choix entre une délégation de maîtrise d'ouvrage et une gestion directe du projet ». Mais, surtout, le choix de la maîtrise d'ouvrage, accordée à l'aménageur Adévia, une société d'économie mixte, n'aurait pas offert « toutes les garanties nécessaires à la préservation du principe du libre accès à la commande publique ». Ce choix pourrait être attaqué dans le fond : la CRC estime que les conditions financières sont avantageuses pour Adévia, ce dont se défend Michel Dagbert, président d'Adévia (notre édition du 2 février).
Les tracés.- Ils n'ont toujours pas été adoptés définitivement. Et cela nuit forcément au projet : lorsque les deux tracés seront définitifs, ils devront être adoptés, chaque commune devra voter... Et il faudra affronter la foudre des anti. Le choix des lignes conditionne également les options techniques. Pour l'instant, le Syndicat mixte des transports n'a même pas adopté un plan global de déplacements urbains, pourtant indispensable, explique la CRC. La mise en service, initialement prévue fin 2013, est reportée au premier semestre 2016. Dans une version optimiste.
Les antis. - Au tout début du projet, lors des premières réunions publiques, les journalistes se doutaient bien que le peu d'intérêt que la population portait au projet ne signifiait pas qu'il allait passer comme une lettre à la poste. Les salles des fêtes étaient désertées. L'info a eu du mal à passer, mais une fois que les premiers tracés éventuels ont été rendus publics et que les élections municipales sont passées, ça a commencé à grogner.
À Bruay, Gosnay, Hesdigneul, Béthune, dans le Lensois aussi, surtout, les collectifs se multiplient. Ce qu'ils craignent : une circulation des voitures engorgée, des paysages détériorés, le prix des maisons situées au bord des rails dévalués, ou encore une hausse des impôts locaux. À Béthune, les commerçants pensent que la clientèle se rendra encore plus facilement à la Porte Nord. Dans le centre de Bruay, on imagine déjà un centre-ville encore plus vide qu'aujourd'hui.
Les élus.- Stéphane Saint-André, maire de Béthune, l'a répété à l'envi : il n'est pas contre le projet d'un transport collectif écolo.
Mais le projet de tramway ne l'a jamais emballé. C'était son prédécesseur et ennemi politique, Jacques Mellick, qui le souhaitait. Et les tracés ne convenaient pas vraiment à Stéphane Saint-André, qui souhaitait que la ligne arrive au moins jusqu'à la Poste, voire au tribunal. Ensuite, et surtout, les travaux l'effrayaient quelque peu : après des années de chantier à la Grand-Place, cela n'allait sans doute pas aider le commerce à se relever que d'infliger à Béthune des mois et des mois de travaux en sus.
Stéphane Saint-André, après une visite de Nantes, a donc tenté de lancer l'idée d'un busway plutôt qu'un tramway. De quoi séduire les maires des petites communes rurales qui estiment que les transports de type tramway devraient plutôt être réservés aux grandes agglomérations : le busway est une ligne cadencée, qui a une voie de circulation réservée, et qui pourrait transporter plus d'usagers. C'est un argument qu'exploitent les antis et les élus sceptiques : comment remplir les tramways alors qu'ils voient actuellement circuler des bus vides sur les tracés prévus ? Pour le SMT, l'avantage d'un wagon de tram, c'est qu'on le répare et le change moins souvent qu'un bus : même si l'investissement est élevé au départ, il est valable sur le long terme. Le syndicat attend 48 000 usagers sur les deux lignes par jour.
Dorothée CARATINI
- Nous n'avons pas réussi à joindre le SMT.