Politique Chambre régionale des comptes Ce TGV-Est qu’on paye une seconde fois
La Chambre régionale des comptes a communiqué à la Région ses « observations définitives » sur la façon dont la collectivité a géré le cofinancement du TGV-Est. Les magistrats pointent le succès de la ligne, saluent la refonte des TER.Mais ils constatent que les tarifs du TGV sont bien plus élevés qu’ailleurs, alors que les Alsaciens ont déjà cofinancé la LGV par l’impôt.La chambre régionale des comptes enfonce le clou. En juin dernier, elle avait glissé ses remarques à la Communauté urbaine de Strasbourg, cofinanceur du TGV-Est. C’est maintenant à la Région Alsace, autre contributeur, qu’elle envoie ses « observations définitives sur la gestion de la Région Alsace relatives au financement de la construction de la LGV Est ».
Ce texte, dont les conseillers régionaux doivent « prendre acte » vendredi 26 octobre, est plutôt élogieux pour la Région. D’abord, elle s’est engagée dans cet énorme projet, « malgré des prévisions de rentabilité défavorables ». C’était bien vu : le succès est au rendez-vous : « Le seul trafic annuel entre l’Alsace et l’Ile-de-France a doublé » et « le taux de remplissage du TGV-Est sur la liaison Paris-Strasbourg est supérieur à celui de la moyenne des TGV ».
L’« effet TGV » a été diffusé en Alsace grâce à la réorganisation des TERLes magistrats saluent aussi la façon dont la Région a « saisi l’occasion » de l’arrivée du TGV-Est pour réorganiser les trains express régionaux (TER). L’offre ferroviaire a grimpé de 13 %, avec 17 % de trains en plus et 28 % de places supplémentaires. C’est ce que le rapport appelle « la diffusion de l’effet TGV en Alsace ». Ils notent aussi la mise en œuvre intelligente en 2010 d’un « système d’information multimodal » [il s’agit du site Vialsace.eu] par l’ensemble des autorités organisatrices de transports alsaciennes.
Ils remarquent que la Région s’est aussi associée à la réalisation de « pôles d’échanges multimodaux » à Strasbourg, Mulhouse, Colmar et Saverne, sous la forme de partenariats d’un montant global de 22,3 millions d’euros.
Le problème des lignes Strasbourg – Metz et Strasbourg – NancyEn revanche, la chambre régionale des comptes est plus circonspecte sur les liaisons interrégionales. Les dessertes par rail Strasbourg – Nancy et Strasbourg – Metz posent problème, ce que la Région admet dans sa réponse, promettant de les réexaminer après la réalisation de la seconde phase de la LGV-Est.
Mais le passage le plus sévère des magistrats concerne les tarifs du TGV-Est et donc la SNCF.
D’abord, ils sont bien plus chers que ceux des liaisons précédentes : à plein tarif, la hausse a été de 36 à 54 %. « Ils ont, en proportion, progressé autant voire davantage que n’a été réduite la durée du trajet », note avec malice la chambre. La SNCF, dans sa réponse, rappelle la palette des réductions, et estime que seul un client sur 10 paie le tarif plein.
La chambre critique aussi la « grande complexité » de la tarification, et l’élargissement progressif des « périodes de pointe », au détriment des « périodes creuses » de 2007 à 2011.
Surtout, elle rappelle que l’habitant de la Région Alsace a déjà « apporté sa contribution à la réalisation [du TGV-Est] à travers ses impôts nationaux et régionaux, sans bénéficier en retour d’un tarif plus avantageux qu’un usager d’un autre TGV ». Pire, les trois lignes TGV que les collectivités locales, à l’époque, n’avaient pas cofinancées, restent moins chères que la LGV-Est.
Les magistrats s’interrogent aussi sur la clause dite « de retour de bonne fortune » qui prévoyait un retour de bénéfices pour les trois Régions Alsace, Lorraine et Champagne-Ardennes, si la ligne tournait bien. Elle trouve son mode de calcul pour la 1 re phase assez opaque et estime qu’il est « moins avantageux » pour la seconde phase – celle du tronçon de LGV Baudrecourt – Strasbourg. La Région ne le conteste pas, mais explique qu’elle n’a pas insisté là-dessus pour « sécuriser l’engagement effectif » de la 2 e phase, alors que commençait la crise.
266 millions d’eurosC’est l’argent que le conseil régional d’Alsace aura apporté pour la LGV-Est, dont 170,8 millions d’euros pour la première phase, bouclée en 2007, et 95,6 millions d’euros pour la seconde, achevée en 2016. Au total, la LGV-Est aura coûté 5,135 milliards d’euros. Les collectivités alsaciennes (Région, départements, grandes agglomérations) auront payé 38 % de la première phase et presque 15 % de la seconde phase.
Verbatim Extraits du rapport « Les tarifs les plus élevés »Les erreurs des experts« Une étude de 1975 conclut que le seul trafic de l’Alsace et de la Lorraine ne sera pas suffisant pour assurer la rentabilité de la ligne […] [En 1996, un autre rapport estime que] l’engagement public dans le projet TGV-Est […] ne peut pas être justifié sur le plan économique et qu’il correspondrait à une mauvaise affectation des ressources de la Nation ».
La tarification de la SNCF« En sus du règlement de son titre de transport, l’usager de la LGV-Est, habitant de la Région Alsace, a apporté sa contribution à la réalisation de cette infrastructure, sans bénéficier en retour d’un tarif plus avantageux qu’un usager LGV d’un autre TGV. Bien au contraire, les tarifs de la LGV-Est Alsace – Paris [sont], de toutes les grandes lignes, les plus élevés, sans que les avantages externes qui lui sont liés soient sensiblement différents de ceux des autres liaisons à grande vitesse ».
Les conséquences sur l’aéroport« Il est manifeste que l’arrivée du TGV-Est européen a fait perdre près d’un million de passagers à l’aéroport d’Entzheim, mais des facteurs préexistants ont contribué à la dégradation de la situation […] Le marché aérien apparaît relativement saturé au sein de la région du Rhin supérieur ».
La politique d’image« Vecteur de développement et de modernité disposant d’un réel prestige dans l’opinion, le TGV apporte un effet d’image positive aux régions desservies […] La chambre observe que la Région [Alsace] a su tirer profit de l’utilisation de ces informations dans le cadre de la conduite de ses politiques publiques ».