Le contrôleur agressé à la bouteille de champagne raconte son calvaire
Une semaine après son agression, le contrôleur de train, qui n'a pas voulu donner son nom par peur de représailles, sort de son silence. Depuis son village perché de l'arrière-pays niçois, il met en lumière les violences subies. «Quittez le train ou je fais appel à la police : voici les quelques mots qui m’ont valu de me faire casser une bouteille de champagne sur le crâne » relate timidement Jean-Louis (*), le contrôleur non-syndiqué de 53 ans agressé par deux Niçois de 18 et 25 ans dans un train arrêté en gare de Villeneuve-Loubet, mercredi dernier. Résultat : quatre points de suture au niveau du front, une entorse du pouce et cinq jours d’arrêt dont deux d’incapacité temporaire de travail. Une évaluation de préjudice corporel qu’il conteste aujourd’hui. « Je suis traumatisé. Je ne peux toujours pas retourner travailler » jure-t-il. « Tout ça parce que je me suis interposé dans le but de défendre un homme qui tentait, lui-même, de secourir une jeune femme en proie à des voyous » fait-il remarquer d’un ton abasourdi, tout en évoquant les risques d’une nouvelle escalade de violence.
« C’est sa troisième fois en 10 ans »Décrit comme quelqu’un de « gentil », son agression laisse pantois. « Déjà qu’il me dit que c’est dur en temps normal, alors là… » lance sa voisine Augusta, encore sous le choc. « D’autant plus qu’il n’est qu’à deux ans de la retraite et que c’est sa troisième fois en 10 ans » explique son épouse, derrière la porte entrebâillée de son domicile. « Il y a cinq ans à Fréjus, je me suis fait gifler par un jeune de 14 ans pour lui avoir demandé son titre de transport » dit Jean-Louis. « Mais j’avais déjà été passé à tabac, il y a dix ans en banlieue parisienne, par un jeune qui refusait d’éteindre sa cigarette ».
En dépit de l’interpellation rapide des deux délinquants, un problème subsiste : la perte de contrôle de la SNCF en matière de sécurité. Pour Philippe Serre, délégué régional de la sûreté à la SNCF, cet intérêt soudain pour la condition des contrôleurs ne tiendrait, de toute façon, qu’à la soudaine médiatisation d’un simple fait divers. « En trois millions de voyages par an dans les A.-M, une agression comme celle-là interpelle forcément puis prend le pas sur le reste » explique-t-il. Selon nos sources, deux autres contrôleurs ont pourtant été pris à partie, il y a deux semaines, dans un train roulant entre Nice et Cannes. Preuve que l’agression de Jean-Louis est loin d’être une peccadille.
L’escalade de violenceEn 2011, le syndicat CGT des cheminots a recensé 52 cas de violence dans la région Paca, dont 17 dans les Alpes-Maritimes. Face à une nette hausse, certains fonctionnaires n’hésitent d’ailleurs plus à parler d’un phénomène de société. C’est le cas de Thierry Meglio, secrétaire fédéral CGT dans la région, pour qui ces agressions sont édifiantes. « Le pire dans tout ça, c’est que l’on ne peut même plus se fier à ces chiffres », déplore-t-il, et ce en raison du fait qu’ils ne gonfleraient qu’en fonction du courage dont font preuve le peu de victimes qui osent encore déposer plainte.
« Inutile de préciser qu’ils ne sont pas les plus nombreux » dit-il. « D’autres collègues à avoir connu le même sort sans se manifester ? J’en connais des tas », atteste aussi Michaël Albin, contrôleur et responsable syndical des cheminots de Nice et région. « Sans crainte de représailles, d’autres incidents viendraient s’ajouter à ce triste bilan. C’est certain », indique Thierry Meglio. « Il y a déjà bien longtemps que nous avons dépassés le simple stade des violences verbales ». Si la situation laisse sans voix, elle n’en inspire pas moins des idées.
« Le comportement des gens, on le subit »Qu’un agent de contrôle soit à la fois formé au combat et muni d’une arme de défense : c’est la solution que préconise aujourd’hui Stéphanie (*), contrôleuse niçoise de 32 ans. « C’est quand même fou que l’on n’ait toujours pas le droit d’avoir une simple bombe lacrymogène sur nous » s’indigne celle-ci. « Hors de question de former des bêtes de combat » répond de son côté Philippe Serre. « La formation juridique/placement suivie est déjà là pour leur apprendre à ne pas se blesser ». Des cours qu’elle juge pourtant « inutiles ». « D’une manière générale, nous ne sommes autorisés qu’à attendre d’être frappés pour ensuite riposter d’une façon proportionnelle. C’est n’importe quoi » souligne celle qui a déjà essuyé brimades et bousculades au long de sa jeune carrière.
« La vérité, c’est que le comportement des gens, on le subit » conclut le cadre SNCF. Un constat qui laisse les fonctionnaires perplexes. Pour Jean-Louis, la solution aurait pourtant été de ne plus réduire les effectifs et surtout de renforcer les opérations de filtrage sur les quais. « Or, on a beau tirer la sonnette d’alarme, personne ne bouge » dit-il. « Tout ce qu’on peut faire pour éviter que cela dégénère, c’est calmer le jeu en contrôlant de moins en moins les jeunes. Voilà tout ! ».
Alors qu’une rencontre était annoncée cette semaine à Marseille, entre lui et Philippe Bru, directeur régional de la SNCF, il déclare de son côté ne pas avoir été contacté. Et bien que cela ne devrait pas dissiper le climat de terreur, la cinquantaine d’agents de la Surveillance générale (Suge), titulaires d'une autorisation de port d'arme, continuera d’assurer la sécurité des voyageurs et des 290 contrôleurs. des Alpes-Maritimes.