Le Messager, 9 juin 2011
Au temps où la zone de Vongy voyait passer des trains
Des voies ferrées sont encore visibles dans la zone industrielle, témoins d'une activité révolue.
Tantôt recouverts de bitume, tantôt noyés dans la végétation, ici et là masqués par des blocs de roche, les rails de la zone industrielle de Vongy sont les vestiges d'un temps où le manège des wagons révélait une activité économique bien plus florissante.
« Ces rails, je les ai toujours connus, même tout gamin, se souvient Eddy Deya, à la tête de l'entreprise de récupération que son père dirigeait là avant lui. Ils ont dû être construits en même temps que la zone (ndlr : 1954). Ce sont des voies privées. » Roger Brasier, actuel maire de Perrignier et ancien dirigeant de la gare de Thonon, précise : « L'installation a été faite par la SNCF, qui devait assurer son entretien, mais une partie du financement a été apportée par l'ASVT, un groupement des industriels, pour leurs embranchements particuliers. » Vers 1965, M. Brasier se rappelle avoir vu des convois encore tirés par des machines à vapeur : « La SNCF venait dans la zone pour s'approvisionner à la ballastière. C'était tout un poème ! Les trains qui repartaient étaient lourds, il y a une rampe importante pour sortir, et si les rails étaient gras, les machines patinaient ! » « A l'époque, tout le monde chargeait par wagon, poursuit M. Deya. Mais à la fin, il n'y avait plus que Biraghi. » La faute à un coût d'entretien important (« au moins 7 à 8 000 euros par an ») et surtout à la concurrence sévère des camions, d'où un déclin de l'activité au cours des années 1990. « Alors pour faire joli, la Ville a planté des pelouses entre les voies, mais ça bouffe les traverses... »
Dernière tentative
Pour autant, il y a une dizaine d'années, la maison Deya a souhaité affréter de nouveaux wagons, comme autrefois. « Avant, on allait les charger à l'angle de la "Mib", près du rond-point, mais il y avait le risque de faire tomber de la ferraille sur la route depuis chez nous, alors pour pouvoir charger dans notre cour nous avons refait la voie : ça nous a coûté 45 000 euros ; la Ville a participé en se chargeant de la traversée de l'avenue. » Une fois les travaux réalisés, les wagons sont donc revenus : « Quatre ou cinq... en tout cas moins de dix, et puis du jour au lendemain la SNCF a tout arrêté : ce n'était plus assez rentable pour elle. » M. Deya n'a plus la date en tête « mais on comptait encore en francs ».
Aujourd'hui, les voies sont donc plongées dans un sommeil dont personne ne peut prédire la fin. « Il faudrait tout refaire depuis l'embranchement, ce serait bien trop coûteux, estiment des employés de Brown Fintubes (anciennement Biraghi) à deux pas de l'endroit où les wagons entraient dans leurs ateliers. Le rail, ce ne serait plus intéressant que pour des longs convois, comme ceux des Eaux d'Evian.» Roger Brasier est également dubitatif sur le retour des trains : « Pas tant qu'on n'aura pas pris conscience de l'intérêt du fret ferroviaire. La SNCF a laissé tomber les wagons isolés car c'est très cher, mais c'est sans doute un tort car l'avenir pourrait passer par le transport combiné, bateau-rail-camion..."
UN CERTAIN ÂGE D'OR INDUSTRIEL
« La gravière (Sagradranse), le charbon Strechenberger, les Télécoms tout au fond, les peintures Marmoran..., énumère Eddy Deya pour faire le compte des entreprises ayant eu recours, autrefois, au ferroviaire. Chez Marmoran, ils recevaient des wagons d'Italie : comme ils n'étaient pas dimensionnés comme en France, ça ne passait pas dans la grande courbe, alors il a fallu la redessiner.» Parmi les clients importants de la SNCF dans la zone, Roger Brasier cite en premier lieu « la "Mib", ou Savoyarde du meuble : ils recevaient quantité de pièces en provenance des pays de l'Est, mais une fois travaillé tout ça repartait à 80 % par camions ». De même, bien sûr, l'entreprise Deya : « Beaucoup de wagons partaient pour l'Italie. On en avait environ un par jour. » Ou encore Pirotal (successeur de Marmoran), et les Fonderies du Léman (devenues Rencast puis Eurocast) : « On y amenait de la fonte, je crois, et parfois on a même ressorti des wagons de pièces usinées. » Et bien sûr Biraghi, aujour-d'hui Brown Fintube : « Ils produisaient des tubes à ailettes, rappelle M. Deya. Des pièces de dix-huit mètres : ça ne tenait pas sur des camions. » « Intransportable par route, ou alors en convoi exceptionnel, mais très difficile et coûteux, confirme M. Brasier, qui développe : Ils recevaient les tubes bruts et les réexpédiaient usinés. Il fallait les charger sur les wagons dans les règles de l'art, en prévision des courbes. L'entreprise avait d'ailleurs une équipe spécialisée pour le chargement. » M. Brasier voyait aussi passer beaucoup de wagons de pâte à papier, principalement en provenance du port de Marseille, à destination des établissements Bolloré, mais donc hors de la zone de Vongy.
« C'ÉTAIT LA GARE DE FRET DE THONON »
Une pointe de nostalgie dans la voix, Roger Brasier se rappelle les quelque cinq ans qu'il a passés aux commandes de la gare de Thonon, à la toute fin des années 1980.
« A cette période, explique-t-il, le trafic de fret était encore important, et sur les 60 000 tonnes qui passaient chaque année par la gare, beaucoup étaient à destination de Bolloré et de la zone industrielle de Vongy. » Une activité importante, équivalant à quelque 4 800 allers et retours de camions de 25 tonnes. « L'avantage, avant, c'est que la SNCF était très à l'écoute des clients et en mesure de leur fournir des wagons très rapidement. Parce qu'à la gare de Thonon, sourit M. Brasier, on stockait des wagons - ce qui n'était pas très réglementaire ! » La zone industrielle était desservie depuis la gare par un locotracteur, avec une équipe de manoeuvre spécialement affectée. « Vongy, c'était la gare de fret de Thonon. » Tous les matins, les wagons y étaient acheminés, et tous les soirs ils étaient regroupés pour le train de manoeuvre qui passait les reprendre en gare.
« Mais toute cette activité, ça voulait dire pas mal de gymnastique, car il fallait passer entre les trains sur la voie principale. Dans la journée, on pouvait aller deux à trois fois dans la zone industrielle avec le locotracteur. Mais s'il était trop chargé, on scindait le convoi en deux : pour grimper la rampe de Vongy plus vite, et pour ne pas bloquer trop longtemps les passages à niveau en ville. C'était du sérieux. » A présent, M. Brasier ne comprend pas que des camions puissent parcourir 2 000 km : les longues distances devraient être réservées au rail. « A Thonon, on recevait du bois en provenance de Suède pour alimenter les scieries », rappelle-t-il.