La photo est ratée, désolé, c’est de ma faute, mais cet arrêt d’autobus — tout rudimentaire qu'il soit — mérite qu’on s’y attarde car il se trouvait en pleine zone des ardoisières, sur la commune de Trélazé, entre la cité des Plaines et la place Alain Gentric. Et ces lieux étaient étonnants, très photogéniques, dans un genre assez pathétique.
Le paysage des carrières était étrange, désolé, mais avec beaucoup de pittoresque, surtout quand les genêts fleurissaient en massifs jaunes qui s’étendaient à perte de vue sur toute cette zone où étaient érigés, ça et là, des chevalements en Meccano. De petits hameaux de maisons pauvres et délabrées bouchaient les interstices entre les chantiers en activité et ceux, désaffectés, où des bâtiments ruinés mettaient un temps sans fin pour se détruire. Ces minuscules hameaux devaient remonter à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe car on n’y voyait aucune habitation récente ; les zones d’exploitation changeaient au gré de l’épuisement des bancs d’ardoise mais depuis longtemps on n'édifiait plus d'habitations côtoyant les chantiers. Les habitants qui continuaient de demeurer là étaient très probablement parmi les plus pauvres de la commune.
Les anciennes exploitations à ciel ouvert avaient laissé des cratères tapissés de genêts, remplis d’une eau bleue, sombre et très profonde, des dizaines de mètres sans doute. Ces endroits, d’une étrange beauté, étaient très dangereux : sur le pourtour des cratères et sur leurs pentes le sol était tapissé de fines écailles d’ardoise, très glissantes ; une chute n’aurait pas permis de se rattraper, la culbute jusque dans l’eau était quasi fatale. Je me souviens d’un chat qui s’y était pris au piège et miaulait de panique : il ne pouvait remonter la pente ; je me promenais là avec des amis et nous avions trouvé ça tragique.
Vers 1958 la cité des Plaines était sortie de terre entre Les Justices et Trélazé, la ligne P avait été créée à cette époque pour la desservir, depuis le Ralliement, en passant par la rue Tarin, la place du Lycée, la rue Saint-Léonard, le chemin de Ballée, la rue Parmentier. La rue Saint-Léonard, étroite et sinueuse était incommode, rue Tarin les autobus devaient souvent rouler une roue sur le trottoir. En 1964 le réseau fut réorganisé et la rue Saint-Léonard fut abandonnée au profit d’un tronc commun par les rues Paul Bert, Volney et Saumuroise.
Après la cité des Plaines, par la rue Élisée Reclus, il y avait un semis d’habitations qui n’étaient que la façade des rues traversées, derrière les maisons il n’y avait rien d’autre que des jardins et les terrains des ardoisières. Là aussi il y avait comme des hameaux : l’Enfer, Saint-Lézin, la place Gentric (ex-Place de l’Asile, si je ne me trompe pas). Je suppose que la mairie de Trélazé avait demandé à la Cie des Tramways de pousser la ligne P au-delà des Plaines, jusqu’à la place Gentric, un itinéraire à déficit garanti car toutes ces zones éloignées des transports urbains étaient de faible densité. Vers 1964 il y avait en semaine 18 bus entre la place du Ralliement et la cité des Plaines, et sans doute 9 jusqu’à la place Gentric, ce tronçon ne devait guère connaître la foule. Je crois que le dimanche tous les bus allaient place Gentric, il n’y en avait peut-être que 6 ou 9, mais on ne trouverait pas ça aujourd’hui dans bien des villes, même à Angers où le service du dimanche a été supprimé sur les lignes de Montreuil et de Sainte-Gemmes ; je sais, il y a des taxis conventionnés, mais réserver la veille c’est se moquer de la clientèle : c’est une façon sournoise de supprimer un service public.
Sur cette photo avec l'autobus, un Saviem S105M, on se trouve au carrefour de la rue Élisée Reclus avec, à gauche, la rue du Champ-Robert. L’arrêt se nomme « ENFER », mais la place de l’Enfer était à gauche, toute proche au bout de la rue du Champ-Robert, c’était un hameau avec la tour tronquée d’un ancien moulin. À droite on voit le chevalement d’un puits ardoisier. À gauche un autre chevalement est masqué par les arbres, dans les années 60-70 et peut-être même encore plus tard, son débit devait être important car il était desservi par un faisceau de voies ferrées, sans doute en voie de 60. La place de l’Enfer a disparu dans les bouleversements qui ont transformé le quartier. De toute façon, les ardoisières sont aujourd’hui du passé : elles ont fermé en 2014, le 29 mars, pas vraiment par épuisement des bancs d’ardoise mais parce qu’il aurait fallu s’enfoncer très profondément, jusque vers 800 mètres alors que les puits anciens ne dépassaient sans doute pas 450 mètres. Le creusement, en 1992, d’une très vaste carrière à ciel ouvert n’avait pas répondu aux espoirs.
Je connaissais bien toute cette zone ardoisière car je la parcourais souvent en vélo ou à pied. Aujourd’hui je m’y repère mal tant elle a été retournée.
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Les ardoisières de Trélazé :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ardoisi%C ... 9laz%C3%A9____________________
Vue du carrefour de la rue Élisée Reclus avec la rue du Champ-Robert :

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Photo aérienne :

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Plan du réseau en 1975, voir la zone en bas à droite :

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Cette vue est à contresens de la photo de l'autobus, on vient de la place Gentric et on va vers la cité des Plaines, les Justices et le centre d'Angers. L’arrêt « Enfer » était situé au bout, à droite.
Le chevalement que l’on voit est celui qui était desservi par un faisceau de voies ferrées du chemin de fer des ardoisières. L’autre chevalement est caché par la maison de gauche. On entraperçoit son toit qui est caché derrière la pointe du pignon de la maison.

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Un vestige du chemin de fer des ardoisières : un panneau signalant le passage à niveau de l’ancienne place de l’Enfer (au bout de la rue du Champ-Robert). La place de l’Enfer était un « nœud ferroviaire » car il y avait là un triangle de raccordement avec des passages à niveau, tous non gardés évidemment. Toutefois la Commission des Ardoisières d’Angers avait installé, pour protéger les passages à niveau, des barrières qui étaient commandées par des boutons poussoirs actionnés par les conducteurs des trains. Il y avait aussi des feux rouges, je suppose qu'ils s’adressaient aux usagers de la voirie, mais le souvenir est flou. Et près de la place Gentric, en allant vers le bourg de Trélazé, circulaient les trains électriques des ardoisières, à voie d’un mètre, aux tracteurs en boîte à sel, qui allaient des ateliers proches jusqu’à la zone de Monthibert en enjambant la rue Ferdinand Vest. Dans les années 60 ces voies électrifiées allaient aussi jusqu'au quartier des anciens tue-vent où s'abritaient les fendeurs, avant que cette activité ne soit concentrée dans un atelier. Ces sommaires cabanes étaient établies par dizaines, en rang parallèles sur un vaste tertre parcouru par des voies ferrées parallèles qui passaient entre ces rangs. On aurait dit un triage et une cabane de rouille et de briques, aux nombreux isolateurs en céramique, aurait pu être une sous-station pour les trains électriques, elle était située sur le tronçon disparu de la rue Pierre et Marie Curie, peut-être juste là où le nouveau boulevard de la D 117 a pris sa place.

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Et voici ce même panneau dans son site, au fond on voit le carrefour de la rue du Champ-Robert (depuis laquelle est prise la photo) avec la rue Élisée Reclus où passait la ligne d’autobus. Tout au fond est le chevalement de puits ardoisier qui était dissimulé par le pignon de la maison. C’est celui qu’on voit à droite de la première photo.
À gauche, derrière les arbres il y avait le faisceau des voies ferrées sans doute à voie de 60, et, plus loin vers la gauche, le chevalement d’un puits qui à l’époque devait avoir un débit important car on voyait couramment sur le faisceau des voies des rames de wagonnets transportants de très gros blocs. Ces trains, tirés par un locotracteur diesel, les emmenaient probablement vers l’atelier de fendage, situé non loin, vers la cité des Plaines, vers l’impasse de Tire-Poche. C’est étonnant, mais il semble que ce lieudit, Tire-Poche, est aussi l’endroit où fut creusée en 1406 la première carrière à ciel ouvert de Trélazé.
