Article du 19/11/2014 du Républicain Lorrain sur Thierry Schidler et sur la ligne de bus Verdun-Chalon
L’assouplissement des règles de création de liaisons autocar longue distance (plus de 200 km) en France est inscrit dans le projet de loi pour l’activité et l’égalité des chances économiques dont Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, a présenté les grandes lignes le 15 octobre dernier. Selon ce projet, cette libéralisation pourrait générer un boom du transport par autocar avec, à la clé, quelque 5 millions de voyageurs chaque année quand il n’en transporte aujourd’hui que 110 000. Il devrait aussi permettre la création de près de 10 000 emplois. « À l’évidence cela créera des emplois. Pour ces nouvelles lignes il faudra des chauffeurs supplémentaires » assure Thierry Schidler. Chez Transdev, l’un des leaders des transports publics, on estime possible la création assez rapidement d’une quarantaine de lignes longue distance. « Il faudra voir le taux de remplissage et donc la rentabilité des lignes » pense le président de la FNTV de Moselle.
La réforme annoncée il y a moins d’un mois, lors du récent congrès annuel de la FNTV qui regroupe 1 500 entreprises autocaristes, a toutefois suscité une certaine réserve de son président Michel Seyt. « Quelle est la frontière entre l’équilibre économique d’une ligne ferroviaire conventionnée et une ligne d’autocar ? On ne veut surtout pas déstabiliser les lignes SNCF, mais des verrous devront sauter » a estimé le représentant des transporteurs routiers. De fait, aujourd’hui, seul le cabotage dans le cadre d’une ligne internationale est autorisé, mais un transporteur souhaitant ouvrir une liaison routière entre deux villes françaises doit obtenir le feu vert du ministère des Transports, qui doit s’assurer entre autres que ces lignes ne menacent pas l’équilibre économique des TER notamment.
Or dans son avis du 27 février, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a noté que des liaisons ne sont pas autorisées alors même qu’il n’y a pas d’offre ferroviaire concurrente. Et pour motiver son avis l’ADLC juge « l’autocar plus flexible que le transport ferroviaire pour relier des petites villes délaissées par le train ». Et cette capacité à assurer des dessertes marginales « est l’une des principales clés du succès du covoiturage, beaucoup moins coûteux pour l’usager », ajoute Thierry Schidler en citant l’exemple de Blablacar. En tout cas, dans son avis, l’ADLC préconise « l’extension des pouvoirs de régulation de l’ARAF, l’autorité de régulation des activités ferroviaires, au transport routier de voyageurs lorsqu’il sera ouvert à la concurrence. » Et la profession n’est pas loin de vouloir la même chose, un marché régulé.
Le projet de libéralisation du transport par autocar pourrait booster ce secteur d’activité. Thierry Schidler président de la Fédération des transports de voyageurs de Moselle y est favorable. A certaines conditions.
Pourquoi libéraliser le transport par autocar ?
Thierry SCHIDLER, président de la Fédération des transports de voyageurs de Moselle : « Il y a aujourd’hui le monopole de la SNCF pour les déplacements réguliers en France. Les autocars ne peuvent pas transporter des passagers sur longue distance, sauf sur un trajet international. Le gouvernement veut assouplir cette réglementation. On reste très attentif à cette évolution. Des autocaristes présents à l’international ont déjà anticipé. Ils peuvent prendre des passagers dans les pays traversés, mais en France, si elle est la destination, ils n’ont le droit que de les déposer. Elle a été légèrement assouplie, avec l’autorisation de prendre en charge des clients en France, à condition de ne pas dépasser 50 % du nombre de personnes qu’il a eu sur cette ligne. Exemple s’il y a 20 personnes à bord, qu’il reste 25 places vous n’avez le droit d’en prendre que 19. Faut faire un calcul, c’est bien français. »
Pourra-t-on créer de nouvelles lignes ?
« Demain n’importe quel transporteur en France pourra demander l’autorisation de circuler sur un axe défini, avec prise en charge et dépose libres. On casse le monopole du train. Je pourrais faire Metz-Paris tous les jours. On parle de lignes régulières, avec les mêmes fréquences. On opérera à nos risques et périls, surtout que dans le même temps la SNCF a anticipé cette libéralisation et lancé une filiale IDBUS, des lignes d’autocar grand tourisme sur de longues distances en Europe. »
On parle de créer 40 lignes nouvelles ?
« Quelles sont les lignes qui pourraient être pressenties ? Celles où le train n’assure pas de bonne fréquence, ni de bonne desserte, où le temps de trajet est long car il y a beaucoup d’arrêts. Je pense à Metz-Charleville-Mézières. Mais une telle ligne sera-t-elle rentable ? Il le faudra, sinon on devra l’arrêter. On cherchera le bon équilibre. »
Quelle clientèle ciblez-vous ?
« Celle qui veut aller vite prendra le train. Celle qui privilégie le prix sera pour nous autocaristes. On touchera une clientèle estudiantine, qui a le temps. Je vois bien une clientèle touristique pour des lignes nationales vers de zones de vacances, vers le sud ou la montagne, pas toujours bien desservies en train. On peut imaginer une ligne Metz–Lyon, voire Metz–Montpellier ou Cannes, vers la Savoie vers Annecy ou Genève, ou vers le Nord à Calais. »
Quels sont les atouts du transport par car ?
« C’est un mode de transport sécurisé, où l’on voyage en toute sérénité, avec l’un des plus faibles taux d’accidents. Il y a la souplesse d’utilisation, les bagages plus importants que vous pouvez embarquer. Les autocars disposent aujourd’hui d’un grand confort, avec wi-fi et machine à café, et roulent avec des moteurs de plus en plus propres. »
Suffisant pour attirer les clients ?
« Non, il faudra offrir d’autres services. Le transporteur devra proposer des connexions possibles vers d’autres moyens de transports. Prenons l’exemple d’une ligne d’autocar Metz-Paris. Elle n’aura de sens que si on s’arrête à Marne-la-Vallée, d’où vous pourrez rejoindre Paris par le RER, Roissy ou EuroDisney. Il s’agira aussi de développer le site internet de réservation pour être aussi performant que celui de la SNCF. Et pour réussir, les transporteurs de voyageurs devront travailler ensemble, en réseau, en mutualisant toutes ces fonctions. »
Est-ce que ça créera des emplois comme ce fut le cas en Allemagne ?
« En Allemagne où existait aussi le monopole de la Bundesbahn, ils ont créé de nombreuses lignes et le nombre de voyageurs a presque triplé. Mais le réseau routier est moins dense que le nôtre. Et ça génère beaucoup d’emplois. En France, on parle de 10 000. Il existe un vrai potentiel de développement, mais il devra être mesuré en tenant compte des contraintes. Mais il y a une demande et un marché. »
La Lorraine compte une cinquantaine d’entreprises de transport de voyageurs, dont une quinzaine en Moselle. Thierry Schidler, de la FNTV, évoque le cas d’une ligne d’autocar interrégionale créée en décembre 2013 et qui concerne la région (lire ci-contre). Il s’agit d’une liaison Châlons-en-Champagne–Verdun.
C’est une première en France selon la FNTV. Cette ligne à cheval sur les deux régions, Champagne-Ardenne et Lorraine, remplace le train en raison de la dégradation de l’infrastructure ferroviaire entre les deux villes. Elle aurait nécessité des investissements trop lourds pour être remise à niveau, avait justifié le président du conseil régional Champagne-Ardenne. Et c’est Veolia Transport, via les Rapides de la Meuse, qui a remporté l’appel d’offres. Selon l’organe de communication Mobil Idées de la FNTV, cette ligne restée cependant sous statut SNCF, dessert davantage de points d’arrêts qu’avant, sur un trajet qui dure 1h48. Deux véhicules réalisent cinq allers-retours par semaine, et trois allers-retours les week-ends, soit à l’arrivée une à deux dessertes hebdomadaires supplémentaires.
Mieux : les horaires sont fixés en fonction des correspondances vers Paris à l’ouest et Nancy à l’est. Et les billets SNCF sont vendus à bord des cars. Enfin, les voyageurs bénéficient à bord des autocars d’un confort inédit : deux espaces salons avec machine à café, wifi accessibles gratuitement, tablettes à disposition pour se connecter, écrans TV avec programmes d’informations. Le succès est tel qu’il serait question de la prolonger jusqu’à Reims. Une démonstration que l’autocar sur des dessertes longue distance a de l’avenir.