LGV Poitiers-Limoges : l'insoutenable incertitude
Les agriculteurs menacés d’expropriation par le projet de ligne ferroviaire ne sont pas foncièrement contre mais ils veulent savoir à quoi s’en tenir.Depuis sa ferme, Michel Caillé domine la vallée du Clain, entre Iteuil et Vivonne. La vue est magnifique. C'est là, sur les terres les plus fertiles de son exploitation, que la future ligne ferroviaire à grande vitesse Poitiers-Limoges doit être raccordée à l'actuelle voie ferrée Paris-Bordeaux. Une sorte de gros échangeur, avec un imposant remblai et un viaduc pour franchir la rivière, doit être construit ; il occupera la moitié des 110 ha où il élève 160 vaches charolaises.
« Si ça se fait, cette exploitation sera sacrifiée », estime l'éleveur. « C'est 30 ans de travail qui seront détruits parce qu'on est parti de rien. » Le « si » est encore de rigueur. Alors que l'enquête publique vient d'être lancée le projet de LGV Poitiers-Limoges reste menacé par la très faible capacité d'investissement de l’État en période de crise et la concurrence d'autres lignes.
" Ça fait cinq ans que ça pourrit notre vie "« Ça fait cinq ans qu'on en parle, maintenant. Cinq ans que ça pourrit notre vie de famille », ajoute Michel Caillé. « On ne peut plus se projeter. On n'ose plus rien entreprendre ; même pas des travaux dans la maison… » Pire encore, son fils de 17 ans, scolarisé au lycée agricole, ne sait pas s'il pourra un jour reprendre l'exploitation.
Éleveur ovin à Vernon, Christian Berger est confronté à une situation comparable. La LGV doit couper son domaine de 238 ha en deux en le privant d'une vingtaine d'hectares et en passant à cent mètres de la maison. « C'est usant, cette incertitude », avoue-t-il. « Le pire qui pourrait nous arriver, ce serait que ça traîne pendant des années. » Une déclaration d'utilité publique mais pas d'argent dans les caisses de l'Etat pour financer les travaux. Autrement dit, l'hypothèse la plus probable.
Car, sur le fond, les adhérents de l'association des expropriés ne remettent pas en cause l'utilité du projet de LGV qui concerne pourtant 85 exploitants et condamne 455 ha de terres agricoles dans la Vienne.
" Je ne suis pas spécialiste "« Je vois ça de ma fenêtre à Poitiers mais je verrais les choses différemment si j'habitais à Limoges », admet Michel Caillé. « Et puis je trouve ça plutôt pratique et confortable quand je vais à Paris, le TGV… Non, vraiment : je ne suis pas un spécialiste, je ne peux pas dire si ce projet est pertinent ou pas. En revanche, je veux savoir à quoi m'en tenir. »
Christian Berger acquiesce : « Ce qui importe, c'est que les intérêts des agriculteurs expropriés soient pris en considération. Qu'on nous dise si ça se fera, quand ça se fera, et qu'on commence à trouver des solutions à nos problèmes et à constituer une réserve foncière. »
A 49 ans, Michel Caillé assure même être prêt à tout recommencer ailleurs pour transmettre une nouvelle exploitation viable à ses enfants. Maintenant. Pas dans dix ans.