Le « petit spaghetti », un pont entre le « 9-3″ et le « 9-2″
Vingt minutes pour traverser deux départements, cinq villes et faire le pont entre le 92 et le 93. Et ainsi passer d'un monde à un autre. Le prolongement d'une ligne de tram est chose presque courante en banlieue parisienne. Pourtant celui de la ligne 1, en dix nouvelles stations entre la gare RER de Saint-Denis et la station de métro Les Courtilles à Asnières, a changé la vie de milliers de banlieusards. Ces quelque 4,9 kilomètres de rail vont ainsi permettre la liaison entre les deux branches de la ligne 13, rejoindre le RER C et D, desservir neuf lignes de bus... "Ces nouvelles lignes, prises indépendamment, ont l’air de "petits spaghettis", mais il y a une logique d’ensemble", assure le patron de la RATP, Pierre Mongin dans le Parisien du 26 novembre.
Ce mercredi 28 novembre au matin, voici quinze jours que la ligne 1 a franchi la Seine entre Saint-Denis et Villeneuve-la-Garenne, et "on a l'impression que cela a toujours existé", témoigne Olivier Hypolite, machiniste du jour. Ce gaillard costaud manie déjà depuis deux ans le "manipulateur", la manette jaune un peu comme un joystick, qui actionne le moteur sur rail. A 1 600 euros par mois, le trentenaire est un "hors ligne", alternant les journées où il est chauffeur de bus ou machiniste sur le tram. "Ce n'est pas le même stress", dit-il : avec une rame de tramway, on doit faire plus attention aux piétons car "la machine freine quand elle veut", explique Pascal Mayram, adjoint de ligne. Entre le tronçon construit en 1992 et le tout neuf inauguré vingt ans plus tard, l'aménagement des voies n'est pas le même et le confort de conduite non plus.
On voit plus de blancs, plus de vieux Ce midi-là, au départ de la gare de Saint-Denis, une petite foule attend déjà la rame. Elle a dû descendre du convoi précédent après une panne des voyants du tableau de bord. "Cela fait déjà vingt ans que le matériel roule et même s'il est normalement prévu pour trente, il fatigue", s'excuse M. Mayram. Comparé aux rames dernier cri qu'on prend sur les boulevards extérieurs parisiens, l'intérieur est moins spacieux et la machine moins facile à conduire. Les élus locaux ont d'ailleurs râlé contre ce matériel vétuste et une pétition d'habitants demande son remplacement. Cela n'a pas empêché les voyageurs de prendre d'assaut le nouveau tronçon. "Ça été plein tout de suite", témoigne Olivier Hypolite.
Le machiniste sonne le gong - le léger klaxon des trams – et la rame se met en branle. Dès le pont de l'Ile-Saint-Denis passé, la voie s'élargit et le gazon court sous les wagons. Le T1 roule soudain en site propre et la conduite se fait plus rapide. "Ici, c'est du billard, on voit au loin et on peut anticiper". Le Parc des Chanteraines s'annonce. Au fur et à mesure des arrêts, le profil des voyageurs change : on voit plus de blancs, plus de vieux. "La clientèle n'est pas la même d'un bout à l'autre de la ligne. Côté 93, ce sont surtout des travailleurs et des chômeurs ; dans le 92 montent plus de cadres, d'étudiants et de retraités. Les uns viennent découvrir le 92 et l'autre côté, on a une population qui découvre le tram !", raconte M. Hypolite.
"C'est un peu l'aventure quand on le prend"Soudain, il se concentre à nouveau, la rame serpente dans le Village de Gennevilliers et il faut se limiter à 20 km à l'heure. Dix-huit minutes plus tard, le machiniste stoppe au terminus et reprend la rame dans l'autre sens. Il doit "partir haut le pied", c'est à dire sans voyageurs dans le jargon de la RATP, pour tenter de rattraper le retard de la rame précédente. Le gong va sonner à chaque arrêt pour prévenir et finir par prendre des voyageurs à Villeneuve-la-Garenne.
Madame Malbranche, une Antillaise qui fait des ménages à Aubervilliers, s'est assise : "je le prends tous les jours", explique-t-elle. Sa voisine rentre chez elle, à la cité Floréal à Saint-Denis. Agent de surface à Villeneuve-la-Garenne, elle aussi souffle : "avant je prenais le bus 153, puis le métro, à nouveau le bus, et ça tous les matins. En tout, ça me prenait une heure ; là, j'en fais la moitié et c'est moins fatiguant", lâche Fatima. Quelques rangs plus loin, un couple de retraités, Janine et Henri, regarde le paysage urbain qui défile : "c'est la deuxième fois qu'on le prend", s'amuse Janine. Son mari observe que "ça fait plus de bruit mais c'est bien. Faut juste que je change mes carreaux", ajoute-t-il. Le couple habite sur le boulevard à Villeneuve-la-Garenne, le long de la voie et les vibrations se font entendre. Pas grave. "C'est un peu l'aventure !", sourit Henri.