Frédéric Cuvillier veut "recomposer la grande famille cheminote"
Juste avant la grande messe anniversaire de la SNCF qui fêtait ses 75 ans le 30 octobre 2012, le ministre délégué aux Transports a balayé les grandes lignes d'une réforme ferroviaire. Elle vise une nouvelle gouvernance du rail, le désendettement et à "préparer le secteur sans le fragiliser" à l'ouverture complète à la concurrence voulue par Bruxelles d'ici à 2019. "Pas avant", a insisté Frédéric Cuvillier.Dans un discours aux intonations tantôt de prêche, tantôt gaulliennes, prononcé devant 2000 cheminots et cadres dirigeants venus célébrer les 75 ans de la SNCF le 30 octobre sous la halle Freyssinet à Paris, Frédéric Cuvillier a justifié le réforme du système ferroviaire qu'il entend mener en 2013. Une heure avant, le ministre des Transports en avait détaillé les grandes lignes devant la presse.
Dans ce qui n'est pas encore un projet de loi, il a confirmé la création d'un "pôle ferroviaire public intégré" qui regroupera un gestionnaire d'infrastructure unifié (GIU) et la SNCF, à laquelle il sera rattaché. Le GIU réunira les 1 500 salariés de Réseau ferré de France (RFF), la direction de la circulation ferroviaire (DCF) et SNCF Infra, toutes deux déjà rattachés à la SNCF. Soit au total, 50 000 personnes.
Le statut juridique de ce GIU "reste à définir", a indiqué un proche du dossier, ce qui laisse au gouvernement le temps de voir venir les décisions de la Commission européenne attendues en décembre 2012 dans le cadre du 4e Paquet ferroviaire et qui pourraient imposer une stricte séparation entre le gestionnaire des infrastructures et l'opérateur.
Plutôt que d'attendre sagement la fin de l'année, Paris a visiblement voulu envoyer un message politique à Bruxelles, "en se ménageant la possibilité d'infléchir demain sa position en invoquant les exigences communautaires", analyse une source proche du dossier citée par l'AFP.
Deux gendarmes valent mieux qu'unPour garantir l'impartialité et indépendance de la gestion des infrastructures, le gouvernement brandit son gendarme du rail : l'Autorité de régulation ferroviaire (Araf), doublé d'un "Haut comité". Le rôle de ces deux garde-fous ? "Garantir aux nouvelles entreprises entrantes, et au moment où la concurrence sera ouverte pour les transports de voyageurs en France (pas avant 2019), l'égal accès aux infrastructures ferroviaires", résume le ministre.
"Je ne sais pas si j'aurai toutes les informations dans mon viseur, puisqu'elles me parviendront d'une seule entité unifiée (la SNCF, ndlr)", commente dubitatif Pierre Cardo, président de l'Araf.
Depuis 1997, la gestion du réseau ferré est confiée à RFF et l'exploitation est assurée par la SNCF et quelques transporteurs privés de fret et de voyageurs sur les liaisons internationales. Une gouvernance partagée, source d'inefficacité, estime le gouvernement. "En simplifiant les liens entre les deux entités, nous allons optimiser le fonctionnement d'un système devenu complètement kafkaïen ces dernières années", estime le ministre des Transports.
Cet enchevêtrement des compétences alimente l'impasse financière du système, selon les conclusions des experts du groupe de travail sur le gouvernance ferroviaire lors des Assises du ferroviaire organisées par l'ancien gouvernement. Conclusions que ne conteste pas la nouvelle équipe aux commandes.
La dette historique des deux entreprises publiques s'élève à près de 32 milliards d'euros, "à raison d'un milliard et demi supplémentaire par an", a estimé le ministre. La dette restera logée chez RFF, "mais elle ne sera portée ni par les usagers, ni par les collectivités locales", a-t-il poursuivi. Par qui sera-t-elle portée alors ? "Je n'ai pas la réponse aujourd'hui", a répondu le ministre.
"Ni vainqueur, ni vaincu""Il n'y a dans cette réforme ni vainqueur ni vaincu mais l'addition de compétences", a-t-il ensuite martelé en référence aux projets opposés de gouvernance ferroviaire : depuis des mois, RFF plaidait pour une séparation stricte entre opérateur et gestionnaire d'infrastructure, tandis que la SNCF défendait bec et ongles un système intégré.
Quoi qu'en dise le gouvernement, les équipes de Guillaume Pepy semblent avoir emporté la mise.
"Ce que souhaitent les usagers, c'est un système qui fonctionne et ne pas avoir ce caractère kafkaïen et ubuesque avec les infrastructures d'un côté, gérées par l'opérateur, des échanges de services, l'absence de lisibilité, des fonctionnements non coordonnés, des doublons", analyse le ministre.
Prudence autour du statut social des cheminotsDu côté des cheminots qui s'inquiétaient d'une refonte de leur statut fixé par une loi de 1940 (régime spécial de retraite et de prévoyance, avancement de carrière type) à l'occasion de cette réforme qui devra forcément s'inscrire dans le contexte européen d'ouverture à la concurrence, Frédéric Cuvillier veut les rassurer : "Cette réforme sera l'occasion de conclure un nouveau pacte social (...) Le statut des cheminots est maintenu de même que sa protection sociale et l'organisation du travail relèvera d'une convention collective de branche", a t-il prévenu.
Le statut des cheminots de la SNCF serait donc maintenu mais la réforme sera l'occasion de discuter de l'organisation du travail.
Pour rappel, depuis 2006 et l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, deux régimes distincts de durée de travail coexistent (celui appliqué aux agents de la SNCF et celui appliqué aux salariés des entreprises ferroviaires privées).
Un projet de décret précisera les questions relatives à l'organisation du travail et à l'aménagement du temps de travail. Il sera soumis à la concertation avec les partenaires sociaux de la branche en vue d'une "convention collective qui prendra en compte les spécificités des métiers du rail" et qui "aura vocation à s'appliquer également aux cheminots sous statut de l'opérateur historique", poursuit le ministère.
Dans l'ensemble, les syndicats cheminots accueillent positivement les premières orientations de cette réforme prévenant toutefois qu'ils resteront "très vigilants" face aux "inconnues", dont le statut juridique du futur gestionnaire de l'infrastructure unifié et la question du statut social. Ils prônent l'alignement des conditions et organisation de travail du privé sur celles appliquées à la SNCF.
Pour faciliter la concertation, Frédéric Cuvillier a confié une mission parlementaire à Jean-Louis Bianco, ancien ministre des Affaires sociales puis des Transports (entre 1991 et 1993) ainsi qu'à Jacques Auxiette, président de la région Pays de Loire. "Nous ne sommes pas des clients, mais des donneurs d'ordre", a prévenu le président de la commission transport de l'Association des régions de France, qui souhaite "redéfinir les relations entre les régions et la SNCF".