Pour y voir un peu clair sur les problématiques de financement actuelles, voyons cet article de l'Express de 1996(!) qui évoque le rapport Rouvillois...
lexpress.fr Wrote:TGV: le coup d'arrêt
Par Dupuy Georges, publié le 09/05/1996
Le rêve du tout-TGV a vécu: trop cher. L'Etat envisage donc un compromis avec des liaisons classiques
Les viticulteurs de l'Entre-deux-Mers, dans le Bordelais, restent mobilisés. Pas question de défoncer leurs vignes pour laisser le passage au TGV Paris-Toulouse. Et, dans l'Est, les écologistes sont partis en guerre. Malgré le souci de concertation de la SNCF, le tracé des nouvelles lignes demeure un sujet embarrassant.
Mais, en 1996, presque quinze ans après l'inauguration de la ligne Paris-Lyon (le 22 septembre 1981), c'est le TGV lui-même (22 millions de voyageurs par an) qui est devenu un dossier sensible. Les experts ont noté la surcapacité des moyens de transport, enregistré la stagnation du trafic ferroviaire et constaté l'incroyable inflation des coûts par kilomètre-voyageur transporté. Conséquence: malgré son succès - plus psychologique que commercial - en Corée, en Espagne et aux Etats-Unis, le TGV est condamné à prendre, sur ses terres, un grand virage. Il sera au centre du prochain débat parlementaire sur l'avenir des transports ferroviaires. Et, pour y voir plus clair, Bernard Pons, ministre des Transports, a chargé Philippe Rouvillois, ancien président de la SNCF, de répondre à la question: l'Etat et sa compagnie nationale ont-ils les moyens de poursuivre le développement du TGV tel qu'il était envisagé en 1991?
Aucun doute: la réponse sera négative. Certes, personne ne remet en question le train à grande vitesse, qui a donné une seconde vie au rail - déjà dramatiquement concurrencé, dans les années 70, par la route et par l'avion. Mais le mythe du tout-TGV a vécu. La SNCF est «plombée» par une dette de 208 milliards (dont 120 au titre de la réalisation des trois réseaux TGV existants). La modernisation du tronçon Paris-Lyon lui coûtera cette année 2 milliards de francs et la réalisation de la ligne nouvelle vers Marseille et Montpellier, 26 milliards et demi d'ici à 1999.
De son côté, l'Etat, impécunieux, sait qu'il lui faudra assurer le coût des infrastructures à venir. Faute de quoi la reprise de la dette, destinée à rééquilibrer les comptes de la SNCF, ne servirait à rien. On comprend qu'à Bercy les financiers veuillent enterrer le schéma directeur de 1991: 240 milliards de francs et 3 500 kilomètres de voies nouvelles encore à réaliser, permettant d'atteindre aussi bien Clermont-Ferrand que Le Croisic, Charleville-Mézières qu'Evian-les-Bains.
Il y a quinze ans, le président de la République avait - dit-on - le «complexe d'Allende», le président chilien renversé par l'armée en 1973 à l'issue d'une grève des camionneurs. On craignait la route et ses chauffeurs, le rail était roi et le TGV, lancé bien avant 1981 par Giscard, construit par GEC-Alsthom, filiale du groupe CGE (futur Alcatel Alsthom), était le roi du rail. Incontesté: depuis le 18 mai 1990, il détient le record du monde de vitesse: 513,3 kilomètres à l'heure. L'ambition d'une France moderne, couverte par 16 lignes à grande vitesse, prend corps, et beaucoup de députés maires mettent le TGV à leur programme électoral.
Aujourd'hui, la SNCF revient sur terre. Finis les «investissements pharaoniques du TGV». A 50 ou 70 millions de francs le kilomètre nouveau, le réalisme économique l'emporte sur toute considération socio-économique. D'autant que l'aménagement du territoire n'en a guère profité. L'implantation d'une gare TGV à Vendôme a, certes, évité la fermeture d'entreprises locales, mais, de fait, la ville est devenue une banlieue de Paris. A la Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale), un vieux de la vieille commente: «Le TGV n'est qu'un moyen de transport qui doit relier rapidement et directement de très grosses villes ou s'inclure dans un corridor très dense.»
Une féroce concurrence
«S'il n'y avait eu que des Paris-Lyon, la SNCF n'en serait pas là», constate un haut fonctionnaire. Il est vrai que sur l'axe Sud-Est la très grande vitesse a attiré 6 millions de passagers supplémentaires par an par rapport aux lignes classiques, dont 2,5 millions gagnés sur les lignes aériennes. Alors que le taux de rentabilité exigé pour construire une ligne TGV est de 8%, celui de la ligne Sud-Est atteint, selon les chiffres de 1991, 10%. Assez loin devant le TGV Atlantique et plus loin encore devant le TGV Nord, sauvé par la liaison avec la Grande-Bretagne et l'Europe du Nord.
Du côté des projets, seuls Tours-Bordeaux, Lyon-Turin (en mixte: voyageurs et fret), Montpellier-Perpignan prolongé jusqu'à Barcelone ou Le Mans-Rennes restent commercialement envisageables. Mais comment plaider un Bordeaux-Toulouse ou un Le Mans-Angers? Sans parler du Paris-Strasbourg, du Paris-Clermont-Ferrand ni du Paris-Rouen. D'autant que ce qui n'était déjà pas rentable en 1991 l'est encore moins en 1996. Guerre des tarifs, promotion commerciale en faveur des clients favoris du train, comme les jeunes: le TGV subit aujourd'hui la féroce concurrence des compagnies aériennes dans un ciel national qui sera totalement déréglementé en 1997. «Et, en plus, nos réservations sont gratuites», clame Air Inter Europe.
Que restera-t-il des 60 milliards de francs de projets à l'étude ou au stade de la déclaration d'utilité publique? A écouter le ministère des Finances et certains experts de Bercy, tout est possible à condition de prendre son temps, sauf le TGV Est, estimé entre 15 et 22 milliards de francs. «En le réalisant, on ferait reculer de dix à quinze ans le lancement d'autres lignes plus importantes», tranche Alain Bonnafous, vice-président du Conseil national des Transports. La ligne a pour elle un argument avant tout politique: il faut défendre la vocation de capitale européenne de Strasbourg. GEC-Alsthom est, lui, impatient de montrer les capacités de sa dernière gamme modulable, le TGV NG, qui roule à 370 kilomètres à l'heure. «Le réseau français est une référence internationale incomparable», souligne Pierre-Louis Bertina, directeur commercial de GEC-Alsthom, qui, au-delà de Strasbourg, a des vues sur le réseau allemand.
Les élus révisent à la baisse leurs ambitions ferroviaires. La région Alsace, pragmatique, ne réclame plus un TGV classique, qu'il s'agisse de la construction de la ligne nouvelle ou du matériel roulant. A Limoges, le député maire, Alain-Pierre Rodet, a renoncé au TGV limousin et se satisferait d'une imitation. Les pouvoirs publics ne cachent guère, en effet, leur volonté de développer la technologie pendulaire, qui permet de rouler à grande vitesse sur les voies existantes (voir l'encadré). Deux avantages: on étale les investissements et on diminue les coûts. Le pendulaire représente seulement un surcoût de 10% sur le matériel et de 20% sur les infrastructures. Ainsi s'esquisse pour la SNCF un nouveau schéma directeur, beaucoup plus modeste, qui combine TGV et liaisons classiques à 200 kilomètres à l'heure.
Reste le plus important: qui paiera? L'Union européenne a, certes, inscrit la construction des lignes nouvelles en direction de l'Europe du Nord, de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne dans ses 14 grands projets. Mais les aides communautaires envisagées (9 milliards de francs au total) pourraient bien être converties en prime d'abattage du cheptel britannique. Curieusement, la perspective d'être aidé par l'Europe n'emballe guère Paris: «Les subventions sont minces et, en plus, elles nous obligeront à effectuer des investissements que, peut-être, nous ne voulons pas réaliser», argumente Bercy. L'Etat, qui prendra - plus ou moins - le relais de la SNCF, entend, aussi, aller à son rythme dans deux directions:
La constitution de pools financiers incluant les collectivités locales et des partenaires privés venus de tous les horizons, GEC-Alsthom, par exemple. Les pouvoirs publics auraient poussé la réflexion très loin, rejoints par certains élus: Jean-Pierre Chevènement a ainsi fait entrer une banque suisse dans l'association de promotion du TGV Rhin-Rhône.
Le péage que devra verser à la SNCF, d'une manière ou d'une autre, l'utilisateur des nouvelles infrastructures. Celui-ci pourrait ne plus être seulement la société nationale, mais, par exemple, les compagnies ferroviaires européennes autorisées à faire circuler leurs trains en France.
Philippe Rouvillois remettra son rapport fin mai. Les pouvoirs publics, peu pressés d'en tirer les conclusions, savent que l'affaire est périlleuse. Les cheminots, attachés au service public, pourraient, notamment, considérer les projets de financement privé comme une nouvelle provocation. Le TGV - même affaibli - est encore un secteur où il convient de se hâter avec lenteur.
Finalement, depuis 14 ans, rien n'a réellement changé sous le paysage du ferroviaire alto-céléré français, sauf la LGV Méd et le TGV Est (manifestement primordial pour gommer l'exil des Euro-députés à Strasbourg
...) phase 1 et 2...