Probablement, et d'une certaine façon ça semble évident. Mais
ça ne signifie pas pour autant que pour toutes les lignes une offre de qualité ferra revenir la clientèle. Quand il n'y a personne à transporter il n'y a personne à transporter, on n'y changera rien en rajoutant trains et services supplémentaires
Certes, rouvrir Aurillac – Bort peut ne pas paraître pertinent, mais quand je vois comment la SNCF et RFF freinent des quatre fers pour ne pas rouvrir Sorgues – Carpentras (prévu, mais quand ?) Pau – Canfranc, où toutes les études (non SNCF !) montrent sa pertinence, Chartres – Orléans, Orléans – Montargis, etc. (la liste est longue !). tout cela montre une mauvaise volonté, voire une mauvaise foi assez marquée !
Tu oublies peut-être d'intégrer un troisième élément qui viendrait sérieusement affaiblir ce que tu dis : le désintéressement du public pour le train. Dans les campagnes profondes, là où la plupart (ce qui ne signifie pas toutes) des lignes secondaires ont fermé, il est clair que ça devenait beaucoup plus simple pour le public d'utiliser sa voiture plutôt que de prendre le train vers la grande ville, pour y faire ensuite correspondance vers sa destination finale, etc. Car sur la petite ligne la demande pour aller du point A au point B (sans passer par un pôle de correspondance) était bien trop faible pour justifier une exploitation directe. Alors qu'avec une voiture on supprime cette nécessité de correspondance, via le porte à porte.
Ce désintéressement du public a donc pu jouer un rôle fort dans l'abandon de ces lignes secondaires, indépendamment d'un éventuel complot.
Cet argument ne tient pas : dans tous les cas où une desserte fer a été rétablie à la place d’une desserte routière, la fréquentation a augmenté. Une des premières lignes a l’avoir expérimenté est la ligne Bréauté – Fécamp, où le Picasso racheté et rénové a été très vite insuffisant en terme de capacité, et un autorail X 92200 + remorque XR 96000 a été acheté (surnommé la Jument Verte).
Comme je le disais, ce désintérêt a bien été entretenu à coup d’horaires malpratiques et de matériels inconfortables…
Il faut se remettre dans l’état d’esprit des années 50 et 60, où le train ne devait subsister que pour les transports de masse (fret et voyageur), les vieux, les gamins et les handicapés, bref uniquement pour les pauvres gens incapables de conduire une voiture. Il fallait vendre de la bagnole à tout prix, les défenseurs du rail n’étant pris, au mieux, que pour des passéistes rêveurs et rétrogrades. La bagnole triomphante allait balayer toutes ces « vieilleries d’un autre siècle ». La lecture de la presse française de cette époque est assez édifiante là-dessus ! Dans les années 60, un journaliste faisant un reportage sur Lille, Marseille ou St Etienne usait de termes du genre « Ces pauvres villes qui ont ENCORE un tramway ! », comme si c’était une tare, une marque d’infamie, tellement le transport par fer était jugé comme moyenâgeux, obsolète …
La genèse du projet du TGV PSE montre bien comment les dirigeants SNCF ont dû batailler pour faire admettre leur idée de ligne nouvelle : beaucoup, dans les ministères concernés, ne voyaient dans ce projet de TGV PSE qu’un « jouet » dispendieux, au même titre que le France ou le Concorde…
Il y a en outre un élément qui n’est jamais pris en compte par les « décideurs » dans ces cas de figure, parce qu’il échappe à leurs domaines de compréhension : l’attrait affectif de beaucoup de gens pour le rail. Cette donnée m’a été confirmée par un responsable des trams de Strasbourg : la CTS s’est demandée pourquoi le concept de parking relais rencontrait un franc succès avec le système P+ Tram, alors que le système P+ Bus ne fonctionnait que bien en deçà des estimations. Des sondages furent entrepris auprès de la clientèle, et les résultats les laissèrent pantois ! Il en est sorti cette synthèse surprenante : « pourquoi laisser sa voiture, sous entendu véhicule sur pneus, pour prendre un autre véhicule sur pneus ? Passer d’une voiture au tramway SUR RAILS, là est l’intérêt, car il y a bien transfert MODAL, du pneu au fer ! ».
Sans compter un attrait affectif lié au passé (le syndrome du « c’était mieux avant ! Merci, M. Cabrel ! »), et les trams font partie de cette nostalgie du passé…
Que celui qui ne soupire pas en pensant aux vieux SC10 du temps jadis me dise le contraire…
C'est probablement vrai, mais la vraie raison à ça était peut-être qu'à cette époque la voiture était vue comme le moyen de déplacement le plus efficace (ce qu'elle a incontestablement toujours été en rendant possible le porte à porte) et surtout le plus prometteur. On a voulu utiliser l'aide économique américaine et les fonds nationaux là où ils étaient les plus pertinents, et vu l'état dans lequel était l'économie à l'époque (totalement ruinée) je peux comprendre la décision des dirigeants de l'époque
A-t-on fait autre chose que du court terme en politique ?
Hélas… c’est bien là un des gros nœuds du problème ! Le long terme, pour un homme politique, est limité à l’horizon de sa prochaine réélection. Par contre, les « décideurs » qui peuplent les bureaux ministériels portent, selon mon avis, une plus lourde responsabilité : en ne voulant pas déplaire à leur ministres ou secrétaires d’état (la crainte du « placard doré »), ils ont laissé faire des âneries assez monstrueuses, voire bien coûteuses pour la collectivité !
Par exemple en ce moment on se fait une religion de lutter contre le tout-automobile, au motif que la voiture est le premier polluant (ce qui d'ailleurs n'est pas le cas, il me semble que les transports [donc au passage pas que la voiture, même s'il est clair qu'elle a une part non négligeable] ne représentent que 25% de la population mondiale, pour 50% pour l'activité économique [c'est plutôt de ce côté-là qu'il faudrait chercher pour diminuer la pollution, mais là n'est pas le débat]). Or, comme je le disais, et tu es même d'accord avec moi (t'inquiète ce n'est pas si atroce que ça), la voiture reste le seul moyen de transport qui permet du porte à porte, ce qui lui confère une efficacité redoutable (au moins dans certains cas). Et que ferons-nous le jour où une technologie relativement propre sera mise au point ? On aura tellement sous-investi dans le réseau routier qu'il faudra tout recommencer (ou presque, un peu comme aujourd'hui avec les trams quoi...). Pas très long terme ça
Sous investi dans le réseau routier !!!!! C’est une tentative d’humour désespéré ?
Il suffit de revoir tous les budgets du ministère des transports et/ou de l’équipement pour voir que la route a été, depuis des décennies, la grande gagnante par rapport au rail en terme d’investissements !
Je ne dis pas qu'il ne faut pas rouvrir de lignes de trains, ou qu'il faut tout donner à la voiture. Je dis simplement que la voiture n'est pas "l'empire du mal" que certains présentent, qu'elle possède certains avantages qu'elle est la seule à posséder, et qu'il serait bon de ne pas foncer tête baissée pour la faire dégager. Après je suis parfaitement heureux de voir les voitures dégagées des centres villes au profit d'un TCSP, parce que là on est dans une logique de flux denses et il est clair et évident que les transports en commun y ont une pertinence de premier ordre.
L’Empire du Mal ? Fichtre ! C’est très exagéré…
fais attention à la colère... elle mène du côté obscur !
Toutefois, la voiture représente quand même bien le « MOI-JE », où l’intérêt personnel passe avant l’intérêt commun… La voiture est représentative d’une image forte du rang social. Ca me fait penser à un ministre des transports britannique qui ne voyait aucun intérêt dans les TCSP et autres trains, ne les ayant jamais pris. Alors que son homologue suédois prend le métro, et comprend l’intérêt des TCSP efficaces…
Chaque mode a sa propre pertinence, et c'est au cas par cas qu'il faut raisonner. Que ce soit en étant ultra-pro-voiture comme Rémy Prud'homme (Thor Navigator va apprécier cette remarque) ou ultra-anti-voiture comme d'autres ici, une posture aussi extrême me semble dangereux pour l'avenir. Il faut savoir ménager toutes ses montures quoi
On est bien d’accord là-dessus ! Et ça ne me chagrine aucunement qu’on soit du même avis…
Enfin, il y a peu de temps un audit américain (seules données dont je me souvienne, mais j'ai un vague souvenir [à confirmer] d'avoir lu les mêmes choses concernant la France) disait que les autoroutes (et peut-être les routes, là aussi j'ai un trou
) américaines étaient dans un état assez lamentable... Comme quoi croire que tout a été donné à la route, même aux Etats-Unis qui semblent pourtant être LE pays de la voiture, est peut-être une idée un peu trop simple
Alors bref, tout ça pour dire qu'aujourd'hui encore le risque n'est pas négligeable que l'on continue à faire des politiques de court terme, au détriment des leçons du passé
Pour conclure, dans le fond je ne dis pas que le rail n'a pas été non plus victime d'une certaine idéologie (en fait je n'en sais rien, et jusqu'à présent personne n'a réussi à m'en convaincre). Mais est-ce alors une raison pour faire subir à la route ce que le rail a(urait) lui-même subi ? La vengeance ne sert à rien et ne fait honneur à personne, sauf peut-être dans certains films mais on n'est pas ici au cinéma...
Il faut aujourd'hui raisonner en mode pertinent, au cas par cas comme tu dis, et vu la façon dont les choses avancent j'ai bon espoir sur ce point précis (même si du chemin reste à faire). Mais laissons derrière nous les querelles et surtout les rancœurs. Maintenant que l'on possède un réseau routier et autoroutier relativement efficace, le rail et plus généralement les transports en commun reprennent leur place dans la problématique des transports, et ne torpillons pas ça avec des discours caricaturaux et simplistes. La mesure va de pair avec la pertinence
Le problème est : comment mesurer les pertinences ? Selon quels critères : écologique ? coût d’acquisition ? coût de possession ? durée d’amortissement ? visées électoralistes ? Etc.
Si nous n’avions affaire, dans les rangs des hommes politiques et des décideurs, qu’à des êtres humains droits, objectifs, incorruptibles, sages, prévoyants, je ne serais pas inquiet…
Mais là ?