Si on tente de faire une synthèse de la situation actuelle, à la suite de notre long "débat" de ces derniers jours, en essayant d'être le plus "neutre" possible.
Pour le tunnel de base, le "coup est parti" si j'ose dire et tout arrêter ne semble pas une option vraiment raisonnable, vu les conséquences financières et environnementales qu'un tel arrêt pourrait avoir :
- plus de 30 km de galeries ont déjà été creusées, avec les impacts environnementaux que je listerai dans le paragraphe suivant.
- des lots de plus de 4.9 milliards d'euros ont déjà été adjugés à différents groupes, et certains tunneliers sont en cours de fabrication (au moins un a déjà commencé à creuser). En cas d'annulation, c'est probablement plusieurs centaines de millions d'euros, voir plusieurs milliards d'euros qui devraient être de toute façon versés aux entreprises.
Malgré cela des
questions environnementales se posent (en théorie, c'est des éléments qui ont du être étudiés lors de la phase de conception, après je n'ai pas suffisamment suivi le dossier pour voir cela en détails). En sachant aussi que, vu l'avancement des travaux, les deux éléments que je vais mentionner sont déjà une réalité sur le terrain et non un problème qu'un arrêt immédiat du chantier pourrait complètement éviter.
- impact de la gestion des matériaux d'excavation qui va forcément entrainer la création de dépotoirs pour les roches non réutilisables. Une partie des dépotoirs (voir tous ? (aucune idée) mais alors pas encore pleinement remplis) doit déjà exister, vu le nombre de kilomètres déjà creusés.
- impact inévitable sur les eaux souterraines. En effet, quand on creuse un tunnel, on "perturbe" forcément les écoulements souterrains d'une manière ou d'une autre. L'exemple cité en Espagne montre que cela n'est pas trivial, et je pourrai citer un exemple encore pire en Suisse (projet de tunnel routier du Rawyl, dont l'effet de drainage provoqué par la réalisation d'une galerie d'exploration a provoqué des fissures majeures sur le barrage voute de Tzeuzier (situé pourtant à plusieurs km de la galerie), qui a du être vidangé en urgence et a complètement bloqué le projet routier). Cependant si les choses sont bien conçues, il est aussi possible de minimiser les effets et même de valoriser ses eaux souterraines. Aux deux portails du tunnel du Lötschberg par exemple, la chaleur des eaux sortant du tunnel a permis de mettre en place deux piscicultures.
Se pose aussi la question de l'
évolution des normes anti-incendies. A ce niveau, il faut se rappeler :
1) qu'il s'agit de
normes européennes, qui à terme s'appliqueront donc pour tous les ouvrages souterrains (en théorie, elles devraient déjà être en vigueur partout, il me semble, mais en pratique une application trop rigide aurait probablement des conséquences trop fortes

).
2) que ces dernières décennies il y a eu une certaine prise de conscience, en lien avec un certain nombre d'accidents graves ou qui auraient pu l'être. Au niveau routier, pour ne prendre que 2 exemples : incendie du tunnel du Mont-Blanc, mais aussi incendie du tunnel du Gothard, relativement similaire (en 2001), mais. Au niveau ferroviaire, les deux incendies du tunnel sous la manche (en 1996 et en 2008), mais aussi l'incendie du tunnel du Simplon en 2011. A chaque fois pour le rail, lié au transport de marchandises.
2bis) : qu'il y a une certaine aversion aux risques dans notre société, et une "chasse au responsable" à chaque accident majeur.
3) que l'Italie semble y mettre un certain zèle à les faire appliquer dans le cas du Mont-Cenis (plus que dans certains autres tunnels, notamment au sud de l'Italie apparemment). Il faut cependant noter que si les ÖBB ont commandé la première tranche de rames Nighjet et les nouvelles rames Railjet, c'était entre autres parce que les rames existantes ne répondaient pas suffisamment aux normes anti-incendies en vigueur, donc Lyon - Turin n'est à priori pas la seule victime de cet "excès de zèle" transalpin...
Cela nous amène aux questions des
accès au tunnel. Il y a un projet, est-il forcément le bon, est-il pertinent, je laisse à chacun son opinion sur le sujet. Par contre, il y a deux constats à faire, un d'ordre politique/gouvernance, l'autre d'ordre technique :
1) le report vers le rail (s'il est voulu, cf. plus bas) implique aussi une gouvernance adaptée et des mesures d'accompagnement, qui doivent être soutenues à la fois par le gouvernement, mais aussi la population (cf. les portiques écotaxes en France, ou la première votation sur la loi CO2 a été un échec, entre autres à cause des pénalités financières (qui ont été supprimées du 2ème projet, validé ce dimanche par la population suisse). A ce niveau, je n'irai pas plus loin, car cela dépasse le cadre de Lyon Turin et cela risquerait de mettre de l'huile sur le feu (
il y a d'ailleurs un sujet pour cela sur ce forum)
Ce qui nous laisse le deuxième point :
la question des infrastructures. A ce niveau,
cet article du blog transport rail a le mérite de rappeler la problématique : si on veut pouvoir utiliser pleinement le nouveau tunnel, il faut envisager des axes d'approche disposant de suffisamment de débit, sinon même si on le voulait, il ne serait pas possible d'utiliser pleinement celui-ci. C'est d'ailleurs aussi ce que l'Autriche ou la Suisse planifient, en plus de leurs tunnels souterrains, même si les connexions avec l'Allemagne et l'Italie semblent parfois poser un peu problème.
Cela pose tout d'abord
la question des flux qui sont visés : trafic marchandise en provenance du nord, trafic marchandise en provenance de l'Espagne (passer par la côte d'Azur n'est pas réellement possible vu la saturation de la ligne), trafic passager en provenance de Lyon/Paris (voir Grenoble ?), etc.
en trafic marchandise, depuis le sud, il y a différent points durs, que je ne ferai que citer : connexion entre ligne de la rive droite du Rhone et ligne de la rive gauche; section à voie unique entre Romans et Saint Marcellin; noeud de Grenoble entre Moirans et Montmélian.
en trafic marchandise, depuis le nord, que Transportrail mentionne. Au niveau de la conception des horaires, outre le nombre de circulations existants sur certaines sections (jusqu'à 130 entre Chambéry et Montmélian, dont "à peine" 30 de fret), le point dur est pour moi clairement le nombre de noeuds rencontrés sur le trajet depuis Dijon, qui impliquent des cisaillements de voie à niveau et aussi de fortes interconnexion entre différentes flux, en provenance en partie de lignes à voie unique : Bourg en Bresse (trafic TGV pour Genève), Ambérieu (trafic RER de Lyon, trafic Lyon - Genève et Lyon - Savoie, etc.), Culoz (idem plus trafic Genève - Savoie), Aix les Bains (trafic Annemasse - Annecy - Chambéry), Chambéry, Montmélian et finalement Saint Pierre d'Albany (trafic vers la Tarentaise, surtout en hiver). L'idéal (pas forcément réalisable ni souhaitable si trop cher) serait donc de réussir à séparer les flux, ou à minima d'éviter un maximum de cisaillement de voies. Problème : ces cisaillements ont souvent lieu en zone urbaine...
en trafic passager, principalement en provenance de Lyon, via un troisième itinéraire (+ du sud, via un itinéraire similaire à celui utilisé pour le fret, sauf qu'aujourd'hui aucun train ne fait Marseille - Turin par la Maurienne)
Il s'agit donc de voir comment optimiser les axes d'approche, si possible avec des lignes qui peuvent aussi favoriser le trafic passager, courte et longue distance, avec la problématique des normes anti-incendies en tunnel qui se posera, si on envisage de longs tunnels à voie unique sans 2ème galerie (cas du projet actuel)).
A cet aspect purement technique peuvent encore s
e rajouter d'autres problématiques, notamment environnementales (au sens large du terme). Par exemple, faut il favoriser un passage en centre ville, avec des conséquences sur la qualité de vie des riverains (bruit, vibrations, mais aussi risques posés par certains types de marchandises dangereuses (l'accident de la gare de Lausanne du 29 juin 1994, qui avait entrainé la fermeture complète du noeud de Lausanne pendant 3 jours et l'évacuation de plusieurs milliers de personnes nous rappelle que même si le rail est généralement très sûr, les conséquences en cas d'accident peuvent être extrêmes du fait de la concentration de matière transportées dans un train) mais aussi des coûts qui risquent d'exploser, un passage en dehors des villes, avec la problématique de l'artificialisation des sols, un passage en tunnel, avec la question de la gestion des roches excavées et de la "perturbation" des eaux souterraines, etc.
En sachant que quoi qu'on fasse, il y aura toujours un impact environnemental. Et aussi que ne rien faire peut aussi avoir un impact environnemental "indirect", car on accepte de rester dans une situation qui n'est pas idéale et que le projet pourrait améliorer.
Et aussi des questions encore plus fondamentales
d'ordre politique (que j'aborde rapidement puisqu'il faut les mentionner si on veut être complet) : faut-il favoriser un tel accroissement du trafic ? (par la génération d'un nouveau trafic ou par le report depuis la route ?) En sachant que 50% du parcours, au niveau des infrastructures, aura été réalisé ? Ou faut-il "décroitre" ? (déjà ça veut dire quoi décroitre ? Rien que ce terme pourrait faire l'objet d'un débat sans fin) Et qu'en pense la population ? Est-elle prête à accepter une telle orientation ? Malgré les "attaques en règle" de certains contre le trafic aérien au nom du réchauffement climatique (je ne fais que constater, pas émettre une opinion), nous sommes quand même forcés de constater que le marché de l'aéronautique ne s'est rarement aussi bien porté. Signe qu'il y a quand même une demande, y compris en Europe.
Et même s'il y a un consensus pour décroitre, faut-il le réaliser en quelques années ou en quelques décennies ? Car l'influence sur les projets à réaliser va changer. En Suisse par exemple, les autorités estiment, et je pense qu'elles ont un regard réaliste sur la question, que d'ici 2040 au moins, le trafic routier va continuer à croître (ce qui ne les empêche pas, en parallèle, de vouloir développer les infrastructures ferroviaires, sur le long terme).
Bref, la situation est complexe, et dépasse le cadre strictement ferroviaire, et renvoie aussi à des questions de politique : quelle vision de la France, de l'Europe, du monde pour les 30 prochaines années ? Et quelle adhésion de la population à cette vision ?
Sans réponse véritable à ces questions (qui sortent du cadre de Lyon-Turin et relèvent de la politique), il y a un fort risque que la technique ne corresponde pas "à la politique", risquant de mener à des projets sous-utilisés ou impopulaires, malgré l'intérêt intrinsèque qu'ils peuvent avoir.
Si les modérateurs pensent que mon message va remettre de l'huile sur le feu, n'hésitez pas à le supprimer, mais je pensais qu'il était pertinent de refaire un bilan de la situation, le plus large possible...