Georges Perruquetti, un train de vie
Le directeur du petit train de la Rhune prend sa retraite, après 37 ans d'aventures.Entre joies, drames et situations cocasses, Georges Perruquetti a vécu trente-sept ans au rythme du petit train.
Il est né lorsque le petit train de la Rhune était encore un fringant jeune homme. Sa vie a croisé ses rails à l'époque où l'emblématique engin, devenu souffreteux, ne cheminait plus que très péniblement vers les hauteurs basques.
Aujourd'hui septuagénaire, Georges Perruquetti, directeur d'exploitation depuis trente-sept ans de l'emblématique attraction touristique, laisse à d'autres le soin de construire son avenir. À l'heure de la retraite, pudique, il ne dit autrement qu'à demi-mot son émotion de quitter ce train dont le pouls rythme sa vie depuis si longtemps. Un tempo que le visiteur installé dans les voitures de bois patiné par quatre-vingt-sept années d'usage imaginerait paisible. Mais derrière les mille et une anecdotes partagées par Georges Perruquetti et le monumental travail accompli, on comprend qu'il n'en fut rien.
Bloqué dans la tempêteIl narre avec passion le travail titanesque fourni pas ses équipes. Il y eut d'abord vingt années passées à remplacer près de 4 700 traverses, puis les caténaires. Ensuite, il fallut se battre pour récupérer des pièces de train à crémaillère, s'arracher les cheveux pour les faire fabriquer à l'ancienne, former, recruter, et faire ainsi survivre « l'un des plus vieux trains au monde à exploitation commerciale encore en service dans son état d'origine. »
L'ancien électromécanicien de l'aéronautique navale était à l'origine venu de sa Côte d'Azur natale pour trois ans, amené ici par l'une de ces rencontres qui scellent un parcours. « Quand j'étais dans la marine, en Mauritanie, des gens construisaient une voie ferrée dans le désert pour une société minière. Je les ai aidés à traîner les premiers rails avec le 4 × 4 de la base. » Quelques années plus tard, alors qu'il vit à Saint-Raphaël, l'un de ces expatriés le recontacte. « Il était devenu un ponte des chemins de fer et cherchait quelqu'un pour gérer le petit train. Ce dernier était arrivé en fin de vie, il fallait tout refaire, le développer. Je me suis pris au jeu. »
Parfois, la situation fut tendue ; le danger, les drames, pas si loin. Il se souvient de ce lundi de Pentecôte, voilà une douzaine d'années. Une tempête coupa le courant de tout le secteur, dont celui du train en pleine ascension. « Quelqu'un a fait un coma diabétique. Les hélicos de secours étaient loin, pris par d'autres interventions. Avec RFF, on a bataillé pour trouver une solution. Ils ont réussi à dévier, des villes voisines, le peu de courant qui restait pendant vingt minutes, le temps de le faire redescendre ». La personne a survécu. Ce ne fut pas toujours possible. Aujourd'hui, tout le personnel est formé aux premiers secours. Il y a des défibrillateurs. « Cette année, grâce à ça, on a pu sauver la vie de deux personnes », raconte-t-il.
Misère et richesseDe son terrain de travail à flanc de la Rhune, observateur toujours silencieux, il en a vu passer. « Du temps d'Iparretarrak, entre eux et les douaniers, on en croisait du monde », souffle-t-il. Avant Schengen, des clandestins passaient la frontière par le col. « Il nous arrivait de redescendre de pauvres types paumés. Les passeurs leur disaient qu'après la frontière, ils seraient à Narbonne, où ils venaient chercher du travail dans les vignes », se souvient-il, attristé.
Plus joyeux, le train transportait souvent des noces entières ou les invités de baptêmes pour des cérémonies en altitude. Moins sympathique, une richissime princesse du Qatar exigea un jour le train pour elle seule. Refus catégorique du directeur : « C'est un service public quand même ! En plus, c'était en pleine saison. » Il finit toutefois par lui laisser une voiture dans le dernier train, parce qu'il restait assez de place. Il sourit en levant les yeux au ciel : « Ses sbires avaient tapissé le sol de peaux de mouton parce qu'elle souhaitait s'y mettre pieds nus. »
À la cadence de 500 passagers l'heure, Georges Perruquetti, entre caprices des uns, détresse ou grandes joies des autres, a mené le train au maximum de sa capacité. Il laisse un outil qu'il suffit de maintenir en l'état. « Plus de monde, ce ne sera pas possible. Et ce n'est pas plus mal. Quand je suis arrivé, il y avait encore de la terre, au sommet de la Rhune. Aujourd'hui, on voit les pierres… »