En finir avec le tortillard Charleville-Givet
Ce tronçon, long de 60 kilomètres, est très dégradé, au point d'imposer une vitesse considérablement réduite aux TER et de provoquer des incidents.
CHARLEVILLE-MEZIERES (Ardennes) On saura demain quels travaux doivent remettre d'équerre la ligne la plus fréquentée de la région. Restera ensuite à répartir la facture.CERTES, l'enchantement du paysage demeure. Comme le décrit Julien Gracq dans « Le Balcon en Forêt », quand l'aspirant Grange monte dans le train pour rejoindre sa maison-forte de Monthermé, quand il quitte « les faubourgs et les fumées de Charleville » et que très vite, il lui semble que « la laideur du monde disparaît […] » et laisse place à vallée, donc à la forêt, « toute étincelante de trembles sous la lumière dorée ».
Certes, donc, la beauté de l'Ardenne est toujours là.
Mais le train, lui, semble également être resté figé. Daté d'un autre siècle. Pas les wagons, mais la ligne elle-même.
Entre Charleville et Givet, « cette ligne, d'une longueur de 60 kilomètres, n'est plus à même de supporter le passage des trains aux vitesses habituelles tant la qualité de l'infrastructure s'est considérablement détériorée. Ainsi, par mesure de sécurité, ce sont 17 variations successives de vitesse qui sont imposées sur cette distance, ce qui a pour effet d'affecter considérablement la vitesse commerciale et donc le temps de parcours entre Charleville-Mézières et Givet (jusqu'à 20 minutes supplémentaires)…» constate avec dépit le Conseil économique et social de Champagne-Ardenne (Ceser) dans un vœu en forme de signal d'alarme, voté il y a quelques jours. Le tableau présenté par les « Sages » est quasi apocalyptique : « Par ailleurs, au-delà de la qualité de service, s'ajoutent des risques en matière de sécurité. De récents incidents ne font que confirmer les craintes du Ceser à ce sujet. »
Or, comme le résume l'institution, « le problème est d'autant plus grand, que, en ce qui concerne le trafic voyageurs, il s'agit du tronçon ferroviaire le plus fréquenté de la région, en majorité par les scolaires, assurant un rôle de transport de la vie quotidienne (900.000 voyageurs par an dont 80 % d'abonnés). »
Ça la fiche d'autant plus mal, quand on sait que depuis 2010, « 30 millions d'euros ont déjà été investis par l'Etat, le conseil général et RFF (Réseau ferré de France) dans des travaux d'urgence, ce qui a permis d'en éviter la fermeture », vient de rappeler dans un communiqué Boris Ravignon, le vice-président du conseil général.
Jusqu'à 20 minutes supplémentairesÇa la fiche d'autant plus mal, quand on sait « la décision du conseil régional de renouveler le matériel roulant sur cette ligne, en investissant 40 millions d'euros, (ce qui) avait pour but d'améliorer les performances, étant donné l'aspect structurant de la ligne et son impact positif sur le développement économique et touristique du territoire, par ailleurs situé au cœur du Parc naturel régional des Ardennes », note encore le Ceser.
Ça la fiche d'autant plus mal, encore, à l'heure du Grenelle de l'environnement et de la volonté de développer… tout ce qui touche le développement durable.
Ça la fiche d'autant plus mal, enfin, au moment où l'on songe à remettre en service un tronçon Givet-Dinant pour assurer une continuité ardennaise franco-belge dans le domaine ferroviaire…
Tout cela, néanmoins, n'est pas nouveau. C'est pourquoi était attendue (à Châlons comme à Charleville) avec une très vive impatience les conclusions d'une étude commandée par RFF à la filiale SNCF Infra pour connaître le détail des travaux à réaliser et bien sûr le montant de l'ardoise.
Alors voilà ! On y arrive… « Une présentation des résultats de l'étude aura lieu le 17 avril à 19 h 30, au siège de RFF à Paris, avec la Région, le conseil général et les représentants locaux de l'Etat » se félicite Boris Ravignon, qui remarque que « rien ne justifiait qu'on attende la fin de la période électorale pour agir ».
Ni évidemment pour communiquer sur le sujet !
Il y a peu, Jean-Paul Bachy, le président (DVG) de la Région s'était aussi montré impatient et avait souhaité que l'étude soit enfin rendue publique.
Là-dessus, dans son élan, le conseiller de l'Elysée et candidat UMP aux législatives dans la Vallée prend les devants et décoche une flèche acide en direction du député sortant et maire de Revin : « Tous les problèmes ne sont, toutefois, pas du ressort de RFF. Ainsi, le ralentissement à 10 km/h au niveau de Revin, particulièrement pénalisant, est lié à la menace d'un glissement rocheux sur la voie. Dans ce cas, c'est à la ville de Revin qu'il revient d'intervenir pour sécuriser les lieux. Ces travaux sont désormais indispensables et urgents. »
En attendant, c'est le train le plus fréquenté de la région qui se hâte… lentement. Encore plus lentement que du temps de Julien Gracq…
Le Ceser en appelle à l'EtatVoté à l'unanimité, le vœu du Conseil économique et social régional (Ceser), que préside Patrick Tassin (issu de la CGT), avait comme rapporteur Francis Vérita (ancien cadre de la SNCF).
Outre la question de la ligne Charleville-Givet, le texte se montre très offensif à l'adresse de l'Etat. « Le transfert de compétence des transports ferroviaires régionaux s'est accompagné, en Champagne-Ardenne, de nombreux efforts de la Région que le Ceser tient à souligner. De nouveaux tarifs attractifs ont été proposés et des investissements matériels conséquents ont été engagés pour améliorer le confort des voyageurs et la fiabilité des dessertes. A cela s'ajoute l'ouverture de haltes ferroviaires, nouveaux points d'arrêts offerts pour un meilleur maillage territorial. Tous ces efforts sont autant d'éléments positifs qui ont permis d'accroître la fréquentation des transports collectifs, de mieux répondre aux besoins des Champardennais et de proposer aux voyageurs une meilleure qualité de service.
Cependant, pour que les investissements réalisés et que la réflexion menée pour redynamiser le réseau continuent à porter leurs fruits, la qualité de l'infrastructure sur laquelle circule le matériel roulant est une condition sine qua non. Or, la dégradation importante de certaines infrastructures amène le Ceser à s'interroger quant à la capacité de la Région à pouvoir assumer pleinement et qualitativement sa compétence transport transférée par l'État… »
Et de demander donc à l'Etat d'assumer : « Le Ceser rappelle que la responsabilité des infrastructures ferroviaires relève de l'Etat qui en a délégué la gestion à Réseau Ferré de France (RFF). Il n'est pas envisageable de demander à la Région ou à d'autres collectivités de participer au financement de cette remise en état (on en doute, mais…, NDLR). Le Ceser estime que l'État doit rapidement donner, à RFF, les capacités financières nécessaires pour rénover l'infrastructure et ainsi permettre à la Région d'exploiter, qualitativement et en toute sécurité, le réseau ferré régional et en particulier la ligne Charleville-Givet.
Enfin, le Ceser demande que soit porté à sa connaissance un état des lieux exhaustif de l'ensemble du réseau régional (fret et voyageur), incluant les prévisions d'entretien des infrastructures et ouvrages d'art. »
Des conducteurs stressés« Sur une petite distance, autant de changements de vitesse et autant d'arrêts à desservir, c'est exceptionnel et très stressant », confie un conducteur de train.
Cyril Georgelet, conducteur de train basé au centre de Mohon, est de service régulièrement sur la ligne Charleville-Givet (en alternance avec Charleville-Reims). Il témoigne.
« Sur une petite distance, autant de changements de vitesse et autant d'arrêts à desservir, c'est effectivement exceptionnel et très stressant. Nous sommes seuls : à chaque gare, on doit activer en effet l'ouverture des portes, vérifier que tous les passagers sont bien descendus ou montés, surveiller le quai et ensuite fermer les portes avant de redémarrer. Or, les automobilistes le comprendront aussi, ce n'est pas évident de conserver toute sa vigilance et son attention quand il y a des tronçons… à 10 km/heure comme entre Revin et Fumay. Et paradoxalement, donc, sur cette ligne, il faut redoubler de vigilance. Ce qui me trouble le plus, c'est d'ailleurs ce secteur où un rocher était tombé sur la ligne il y a quelques années. Sur un tronçon, on longe aussi la voie verte où circulent piétons, joggeurs et cyclistes… J'ai lu il y a quelques jours dans le journal qu'il y a 50 ans, le train roulait à 90… On en est loin aujourd'hui. »
Cyril Georgelet ne nie pas non plus que ces soucis entraînent une dégradation du service en matière de respect des horaires.
« Impossible qu'il en soit autrement surtout quand, arrivés à Givet, on n'a que quelques minutes de battement avant de repartir vers Charleville. On peut donc avoir plus d'un quart d'heure de retard vu le nombre de ralentissements nécessaires… »
On ne s'en étonnera pas, comme nombre de ses collègues, c'est presque soulagé que Cyril prend les commandes quand il doit conduire le Charleville-Reims…