Les performances de la région grenobloise sont-elles menacées par l’insuffisance des infrastructures routières et ferroviaires ? Des dirigeants d’entreprise soulignent les priorités à régler pour adapter le territoire à ses ambitions économiques.
Les personnes qui se rendent pour la première fois à Grenoble en train depuis Lyon s’étonnent d’avoir l’impression de tomber en panne à mi-parcours. Des Américains du groupe IBM, venus rencontrer leurs homologues du groupe STMicroelectronics, n’en sont toujours pas revenus. Le nœud ferroviaire de Saint-André-le-Gaz, qui marque la séparation des lignes vers Grenoble et Chambéry, frappe le passager non averti. Si le sujet prête à sourire, il n’en demeure pas moins crucial pour l’économie et l’attractivité de la région grenobloise. Comment faire cohabiter l’image d’une région d’excellence sur les technologies de pointe avec des infrastructures d’un autre âge ? Depuis décembre dernier, la SNCF a mis en place un système de cadencement de ses TER (trains express régionaux), ce qui a permis une meilleure lisibilité des horaires et une augmentation de 35 % de l’offre sur l’axe Lyon-Grenoble. Pour autant, les problèmes de lenteur et de retard ne sont pas résolus. L’ouverture d’une desserte à grande vitesse, qui permettrait ce déblocage, est conditionnée par la réalisation de la ligne ferroviaire Lyon-Turin. Or celle-ci n’est pas attendue avant l’horizon 2020-2030, notamment pour des raisons de financement européen. En attendant, c’est l’attractivité de tout un territoire qui en pâtit. Pour Gilles Dumolard, le président de la CCI de Grenoble, cette situation ne peut plus durer : “Ces travaux doivent être impérativement réalisés dès à présent pour rendre compétitive la liaison Lyon-Grenoble. Ils favoriseront une meilleure utilisation du ferroviaire entre les deux agglomérations.” À cause de ce TER mais aussi du TGV, qui ne porte pas vraiment son nom sur cette portion de ligne, Grenoble serait aujourd’hui la ville de plus de 100 000 habitants proposant le trajet en transport collectif le plus long pour rejoindre Paris. “La région grenobloise a besoin de se rapprocher de la capitale !”, affirme Gilles Dumolard. Jean-Pierre Gillet, directeur des sites grenoblois de Schneider Electric, en témoigne : Schneider Electric consomme chaque année pas moins de 24 000 allers-retours Paris-Grenoble en TGV. Un gain de temps de vingt minutes sur ce trajet se traduirait par quelque 16 000 heures rendues aux salariés chaque année…
Retards sur la ligne ferroviaire
La mauvaise qualité de la liaison ferroviaire Grenoble-Paris entrave la mobilité des chefs d’entreprise : “Je ne pars plus de Grenoble depuis bien longtemps, c’est beaucoup trop lent, explique Serge Riondet, PDG de Riondet Seripub. Je préfère prendre l’autoroute jusqu’à la gare TGV de Valence. Au moins, je suis sûr d’arriver à l’heure à mon rendez-vous.” Les améliorations sont circonscrites pour l’heure au Sillon alpin sud. Un contrat entre Réseau ferré de France et la SNCF courant jusqu’en 2013 permet d’importants travaux sur les liaisons Chambéry-Grenoble et Grenoble-Valence. En gare de Moirans, la construction d’un saut-de-mouton va mettre en dénivelé les lignes afin de rendre possible le passage simultané des lignes Valence-Moirans et Lyon-Grenoble. Le chantier actuel du doublement de la voie jusqu’à Saint-Marcellin permettra aux trains de circuler à des cadences plus serrées sur cet axe à partir de fin 2010. Dans ce dispositif d’aménagement, une nouvelle voie en gare de Gières contribue à l’efficacité des déplacements pendulaires. Depuis la fin de cette année, elle assure un nouveau terminus aux trains venant du Voironnais et ouvre une connexion entre le train et le tram. Tout ne semble pas résolu pour autant pour la mobilité des salariés. Les nouveaux horaires du TER de novembre 2007 sont jugés moins pratiques par les utilisateurs. De même, les retards répétés, et parfois les annulations sur certaines lignes de transport, ont eu des effets très négatifs sur la motivation des usagers. “Du coup, certains salariés de Schneider Electric ont repris leur voiture, regrette Jean-Pierre Gillet. Cependant, nous avons un motif de satisfaction : une croissance du taux de fréquentation des bus et du tramway, saluée par la Sémitag avec l’attribution du Trophée 2007 de la mobilité réservé aux grandes entreprises.”
Les transports en commun plébiscités
De même, Christophe Colin-Madan, responsable du plan de déplacements entreprise (PDE) du site crollois de STMicroelectronics, dépeint une situation en demi-teinte dans le Grésivaudan. “La navette de bus TransIsère, qui irrigue la vallée depuis 2002, est un plus pour nos collaborateurs, témoigne-t-il. Sur les quelque 4 000 salariés du site, plus de 600 ont pris un abonnement mensuel à TransIsère, en partie remboursé par l’entreprise, sans compter tous les utilisateurs occasionnels.” La création récente par le Conseil général de l’Isère de la voie réservée aux bus sur l’autoroute A 48 est une aubaine saluée par les salariés de STMicroelectronics. “C’est un point très positif pour les salariés de Voiron, qui sont nombreux à avoir adopté la navette”, reconnaît Christophe Colin-Madan. Le point de vigilance concernerait plutôt la desserte ferroviaire. Même si quelques progrès ont été constatés dans la fréquence des TER sur la ligne Rives-Brignoud, un décalage important perdure entre les horaires des trains et ceux de l’entreprise, ce qui n’encourage pas les salariés à abandonner la voiture. Les ambitions écologiques sont pourtant là : beaucoup ont fait la demande TER + vélo pour rejoindre le site depuis la gare de Brignoud en quelques coups de pédale. STMicroelectronics finalise actuellement son plan de déplacements entreprise sur le site de Crolles. Il devrait être réellement appliqué avant le début de l’été. Il prévoit une forte incitation à l’utilisation des transports en commun et du covoiturage. Son objectif : encourager 5 % du personnel en plus à préférer les modes doux. “Pour atteindre ce chiffre, il faut adapter les infrastructures et notamment créer des pistes cyclables autour du site.” Le projet est en discussion avec les collectivités locales concernées, dont la Cosi (Communauté de communes du Moyen-Grésivaudan). “La solution automobile coûte de plus en plus cher aux salariés, qui attendent un environnement propice au développement et à la généralisation des modes de déplacement doux”, explique Christophe Colin-Madan. “Pour l’efficacité et la structuration économiques de l’agglomération, nous comptons sur des aménagements alliant harmonieusement les différentes solutions modales, sans en délaisser aucune”, renchérit Gilles Dumolard. “La région grenobloise a besoin de transports en commun fiables. Elle répondrait ainsi à l’une des attentes clés des salariés, poursuit Jean-Pierre Gillet. Chez Schneider Electric, nous agissons très concrètement pour favoriser l’usage des transports en commun.” Dans son nouveau PDE, mis en place le 1er septembre 2007, le groupe finance 50 % du montant des abonnements des salariés, à concurrence de 40 euros par mois.
La rocade nord sur les bons rails
Aux efforts des entreprises pour structurer les déplacements doit correspondre le volontarisme des pouvoirs publics. Le projet de contournement complet de l’agglomération grenobloise s’inscrit dans ce sens. L’immense majorité des acteurs économiques, relayée par la CCI de Grenoble, réclamait depuis de nombreuses années la création de la fameuse rocade nord. Après une consultation publique organisée par le Conseil général, par laquelle 85 % des Isérois ont reconnu l’utilité de cette infrastructure, la délibération départementale de novembre 2007 a donné le top départ des opérations. Les consultations pour la maîtrise d’œuvre et les études d’impact ont d’ores et déjà été lancées. Les concertations démarreront à la fin de l’année, avant le lancement de l’enquête publique en septembre 2009. Premier coup de pioche prévu début 2011, pour une mise en service programmée fin 2014. “Le contournement nord de Grenoble est très attendu, tant par les salariés de STMicroelectronics que par nos fournisseurs”, explique Christophe Colin-Madan. Les dirigeants s’impatientent, et il y a de quoi. La société doménoise Fradem, spécialisée dans la maintenance industrielle (CA 2007 : 1,7 M€, 10 personnes), est l’une de ces nombreuses PME-PMI de l’agglomération qui souffrent de la congestion des axes routiers autour de Grenoble. “Nous sommes une société de prestation de services et, de ce fait, nous nous déplaçons beaucoup en clientèle. Nous ne pouvons plus circuler à tout moment compte tenu des bouchons. Et même si l’on apprend à éviter certaines heures pour rouler, nous ne sommes jamais à l’abri d’une paralysie soudaine de la circulation. Il suffit qu’un accident survienne, et tout est bouché en quelques minutes”, observe Michel Frasquet, qui déplore les retards pris sur le dossier. “Des départs d’entreprises ont déjà été constatés parmi nos prestataires, qui préfèrent s’installer à L’Isle-d’Abeau pour rayonner plus facilement sur l’ensemble de la région, explique-t-il. Une fluidité insuffisante des axes routiers risque de condamner certaines zones industrielles de l’agglomération au bénéfice des pôles d’activités savoyards mieux équipés, par exemple.” Les commerçants grenoblois font un constat identique. Pour Françoise Lazzarotto, gérante de la Papeterie de la Renaissance, “d’ici à ce que le projet soit construit, nous perdons chaque matin un temps précieux dans les déplacements, avec des ralentissements dès l’échangeur de Crolles, et un point crucial, le carrefour de la Carronnerie, précise-t-elle. Nous avons dû modifier nos horaires d’ouverture pour éviter les bouchons le matin. Nos commerciaux ne peuvent plus fixer de rendez-vous en prospection et les embouteillages pénalisent notre organisation. De nombreux clients de Chambéry et de Voiron, découragés, ne viennent plus nous voir”.
“L’image de Grenoble ne doit pas être associée à celle des bouchons. Cela aurait des conséquences négatives, notamment sur l’économie. Si nous ne redevenons pas un point de passage efficace, nous risquons d’être délaissés par les investisseurs”, alerte Gilles Dumolard. N’est-ce pas déjà en partie le cas ? Des dirigeants d’entreprise à l’extérieur de Grenoble regardent la capitale des Alpes d’un mauvais œil. Christophe Duverne, président de Duappi Industries (CA 2007 : 10 ME, 72 personnes), concepteur-fabricant de machines spéciales à Saint-Victor-de-Cessieu, ne vient plus à Grenoble : “Ni pour acheter ni pour vendre, alors que Minatec intéresse notre activité.” La région grenobloise a carrément été éludée du plan de développement de l’entreprise : “Quand je dois m’adresser à un interlocuteur grenoblois, je le fais venir dans le Nord-Isère. Je ne me déplace plus, c’est bien trop compliqué”, soupire Christophe Duverne.
“Une fluidité insuffisante des axes routiers risque de condamner certaines zones industrielles de l’agglomération.”
Les stations pénalisées par les temps de trajet
Skieur, le président de Duappi Industries redoute également l’axe routier Grenoble-Le Bourg-d’Oisans vers L’Alpe-d’Huez et Les Deux-Alpes : “Je ne vais plus dans ces stations pour une journée, c’est trop de temps perdu dans les embouteillages.” Malgré des aménagements récents, la RN 91, qui reçoit aussi le trafic pour Serre-Chevalier et le Briançonnais, semble encore vouée aux bouchons, spécialement en période scolaire. Les feux du Péage-de-Vizille et les carrefours giratoires de Jarrie et de Livet provoquent de redoutables effets d’entonnoir, insuffisamment sécurisés de surcroît. “Le contournement de Séchilienne est une bonne chose en soi, mais il est insuffisant pour pallier les obstacles rencontrés ailleurs”, regrette François Guillet, directeur des hôtels du Pic-Blanc et des Grandes-Rousses, à L’Alpe-d’Huez. Patrice Fiorina, directeur commercial de ces deux hôtels, estime que le raccourcissement du temps de trajet Grenoble-Oisans revêt un caractère d’urgence. “Les hôtels se battent pour développer l’activité séminaires, dont les perspectives sont orientées à la hausse au niveau national, explique-t-il. Or les cahiers des charges des entreprises limitent à une heure le temps de trajet entre la gare et le lieu de résidence. Actuellement éloignés de 75 ou 80 minutes de Grenoble, les hôtels de L’Alpe-d’Huez perdent des marchés.” Y compris parmi la clientèle locale habituelle, qui se tourne maintenant vers les stations de Savoie, plus facilement accessibles, pour ses stages incentive.
80 kilomètres à terminer entre Grenoble et Sisteron
Ce tableau peu incitatif n’est pas en conformité avec la véritable place de l’économie de la région grenobloise. Pour Robert Sorrel, vice-président de la CGPME Isère, “Grenoble ne pourra pas valoriser durablement son dynamisme sans des infrastructures adaptées à son territoire et à ses enjeux”. Ce n’est pas le nouveau coup de gel sur l’achèvement de l’autoroute A 51 au sud de Monestier-de-Clermont qui arrange les choses. Voilà plus de vingt ans que la CCI de Grenoble défend l’intérêt d’une liaison rapide et sûre entre Grenoble et Sisteron. Selon un sondage effectué en 2005, 86 % des dirigeants estimaient qu’un tel axe favoriserait le développement de leurs entreprises. Ces derniers 80 kilomètres ressemblent à un véritable serpent de mer. Au gré des changements politiques nationaux, les tracés n’ont cessé d’être modifiés. Le désengagement progressif de l’État, appuyé par les récentes décisions du Grenelle de l’environnement concernant l’autoroute en France, retarde encore les perspectives. La CCI de Grenoble réaffirme son choix pour un tracé par Lus-la-Croix-Haute, pour des raisons de coût, de faisabilité technique et d’impact environnemental, tout en prévoyant un barreau autoroutier Aspres-Gap pour desservir la préfecture des Hautes-Alpes. “Nos économies sont interconnectées : Grenoble ne peut pas se passer d’une liaison rapide vers le sud de la France”, assure Jean Vaylet, président du Medef Isère. Face à ces risques d’inertie, c’est toute la crédibilité de la capitale des Alpes, pôle d’excellence économique et ville candidate aux Jeux olympiques de 2018, qui est en jeu.
R. Gonzalez
On le sait, la CCI est traditionnellement pro-voiture ; cela dit, elle prend la peine de demander des améliorations sur les réseaux TC (trans'isère et TER en particulier), et a l'air de se féliciter de la mise en place des PDE ; ainsi, il est certain que la desserte de Crolles est encore à améliorer (surtout en provenance de Pontcharra/Montmélian/Chambéry, où l'offre est ténue et pour lequel la meilleure solution consiste quasiment à traverser l'Isère et l'autoroute à pied depuis la gare TER)... A noter qu'on parle aussi des problèmes sur le réseau TER depuis le cadencement (encore que ça semble s'améliorer pas mal ces temps-ci).
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