... n'était pas un jour comme les autres.
J'étais à l'époque en deuxième année de BTS, et l'appréhension me guettait. Non pas un examen. Le parrainage des premières années. Il fallait qu'on leur explique le pourquoi du BTS Assistant de direction, les débouchés etc ... et finir la journée sous le signe de la fête ... un bowling.
Avant j'avais un exposé à faire comme quatre autres collègues. Ma mission du jour, si je l'acceptais, était de décrire devant 200 personnes mon activité d'écriture journalistique pour le canard interne aux BTS AD. Habituée à l'oral, mais anxieuse de nature, j'allais jusqu'à finir de réciter mon exposé dans la rue, devant les passants qui me regardaient avec curiosité.
Dans l'amphithéâtre la pression monte, les exposés se succèdent. Vient le mien. Allez, je dirais qu'il était 9h55 ...
Une réussite qui fut applaudie et j'obtins des félicitations. Plus tard de mauvaises langues diront qu'il fut ... "explosif". Je console ma camarade de promo qui va passer après moi, mais avant, on fait une pause. Il est 10h05. Dix minutes passent, le pire est passé et je m'assieds, je regarde le plafond. Zen. Je pense au bowling. Mais quelque chose va de suite me rendre beaucoup moins zen. Cette chose est en fait un petit boum, un tremblement de terre, qui me fait dresser de mon siège.
Et de suite après, un autre BOUM, beaucoup plus violent, sonore, apocalyptique, qui fait voler la poussière des briques rouges murales.
Un boum qui fait soulever le plafond.
Un boum qui se répercute dans ma poitrine.
Un boum qui fait paniquer la salle.
On se regarde.
Quelques secondes passent.
Je prends ma sacoche, ma veste. je ne peux pas rester dans le bâtiment, il se passe quelque chose d'anormal, mon instinct de survie parle pour moi. Je dois sortir, même si on me l'interdit.
Une fois à l'extérieur, je lance à mes camarades qui fumaient dehors "Que se passe-t-il ?". "ça a sauté, me répond-on". Je vois une fille en pleurs, les mains sur les oreilles. La déflagration lui a fracassé les tympans. Les rumeurs commencent à venir. Moi je ne comprends rien. "C'est la guerre, je vais mourir", pensais-je ... j'imaginais mon appartement ruiné, à terre. Je m'en fichais. Il fallait que je sauve ma peau. A cette heure là, rien de concret et de cohérent sur les évènements ne venait à nous. Dix jours après les attentas du World Trade Center, tout le monde parlait d'avions ou de bombes qui ont explosé au centre ville. Mes collègues commencent à paniquer, à pleurer. Elles dégainent leur portable. Et moi je pensais à ma mère, devant sa télévision. Il fallait que je la prévienne que j'allais bien. Mais les réseaux étaient saturés, impossible de joindre qui que ce soit. Je ne pleure pas je prends dans mes bras des camarades qui ne peuvent gérer la situation et qui sont en pleine crise de nerfs.
Tant bien que mal nous avons rejoint le lycée, parmi les débris de verre des vitrines.
Vers midi on nous a donnés le feu vert pour repartir chez nous. J'ai constaté que mon appartement n'avait pas de dégâts. J'ai pu joindre ma mère, qui rentrait de courses. Elle ne savait encore rien des évènements. J'avais allumé la télé et j'ai compris de quoi il s'agissait.
Ce jour-là nous étions le 21 septembre 2001 et l'usine AZF venait d'exploser, faisant plus de trente morts et des centaines de blessés.
Même si je n'ai pas été touchée, j'en ai été longtemps choquée, et j'en ai parlé des mois, pour purger cette émotion qui m'avait envahi. Tout le sud de ma ville avait été anéanti, même les images que vous aviez vues n'étaient pas assez explicites.
Si j'écris ce message c'est pour qu'on n'oublie pas une chose : dans la vie, tout peut basculer du jour au lendemain. Ce jour là, j'aurais pu être dans un autre quartier, j'aurais pu être grièvement blessée, moi ou un ami. Des gens hélas ont connu ce triste sort. je n'oublierai jamais ce jour, qui a changé ma vie, ma conception de voir les choses.
Je vous remercie pour votre attention. J'avais besoin de parler de cette journée ...