Veolia Transdev, Keolis, SNCF : ils vont vous faire aimer les Sem
Héritière de vingt sociétés d'économie mixte de transport depuis sa fusion avec Transdev en 2010, Veolia Transdev veut protéger cette forme de partenariat avec les collectivités locales séduites ces derniers temps par la gestion directe. Même stratégie chez Keolis, l'autre poids lourd du transport public qui s'attaque au marché des SEM avec son bras armé, SNCF Partenariat. Le duo est en lice à Grenoble contre Veolia Transdev, candidat sortant. Résultat de l'appel d'offres en février 2013."S'il n'y avait plus que des régies ou des sociétés publiques locales de transport en France, nous n'existerions plus à l'international, car si nous nous exportons si bien à l'étranger, c'est grâce au modèle français de la délégation de service public, creuset de notre notre expertise d'opérateur", résume en forçant intentionnellement le trait Patrick Jeantet, directeur général France de Keolis (filiale de la SNCF).
Depuis les années 80 et la loi Sapin, la délégation de service public (DSP), modèle très français de gestion des services publics a fait les beaux jours de Keolis, de Transdev, de Veolia en leur permettant de prendre les commandes des métros, des tramways et des bus sur l'Hexagone et à l'international.
Mais aujourd'hui, la DSP (en société d'économie mixte, en contrat avec garanties de recettes ou aux risques et périls), est chahutée par le retour aux affaires de la gestion directe, pour les transports comme pour l'eau.
Transparence économique"Les élus se sont mis à douter de la transparence économique des groupes, ils veulent se réapproprier le produit transport et sa conception", résume Francis Chaput, directeur délégué Grand Urbain chez Veolia Transdev. En ont-ils les moyens, financiers et techniques ?
"On ne peut pas tout demander à une collectivité, moi, je n'ai pas les moyens de me payer les compétences de Transdev", lance Jean-Pierre Moure, président de Montpellier Agglomération. Avant de se demander si l'on doit passer en régie, en DSP ou en SPL (société publique locale, ndlr), il faut résoudre l'équation équipements/amortissement/renouvellement de matériel/sujets techniques/charges financières. L'économie mixte permet de conjuguer une vision politique, un projet à long terme avec le savoir-faire d'un professionnel du transport", ajoute l'élu socialiste qui a succédé à Georges Frêche à la tête de l'agglomération montpellieraine en 2010.
"J'aime bien rester au capital, l'entreprise privée nous apporte son expertise, le transport c'est un métier à part entière, lui fait écho Brigitte Barèges, maire UMP de Montauban qui a renouvelé fin 2012 sa confiance à Veolia Transdev, pour dix ans. Dans ce nouveau contrat, la Sem des transports montalbanais (SEMTM) porte un projet d'investissement de deux millions d'euros pour construire un nouveau dépôt de bus et renouveler le matériel roulant (31 véhicules). "L'outil Sem permet d'aller plus vite, pense l'élue. Du moment que l'on a un bon service et que ça ne me coûte rien, ça me va...", poursuit-elle. Jean-Luc Frizot, le directeur général de TAM à Montpellier, a raison : "Un élu, ça veut pouvoir dormir sur ses deux oreilles".
Des élus pilotes, un opérateur expertLa première Sem de transport est née en 1973 à Toulouse, une vingtaine ont ensuite vu le jour : à Nantes, Grenoble, Strasbourg, Montpellier, Valenciennnes, Limoges etc. Dans cette formule juridique, la collectivité locale est l'actionnaire majoritaire aux côtés de l'opérateur privé qui est chargé de construire, développer et d'exploiter le réseau de transport, en maîtrisant les résultats techniques et économiques. "L'opérateur privé associé à la collectivité apporte son expertise d'exploitant, ses managers, la synergie et les moyens financiers du groupe pour les innovations", commente Francis Chaput.
Pour les autorités organisatrices, le passage de la gestion déléguée à la gestion directe qui tente certaines collectivités est délicat et risqué, cherche à démontrer Veolia Transdev qui organisait récemment un déplacement avec des journalistes à Montpellier et Montauban. Deux exemples d'agglomérations diamétralement différentes (430000 habitants pour la première, 70000 pour la seconde) qui ont fait le choix de l'économie mixte pour développer leur réseau de transport public.
A Montpellier, TAM (1200 salariés) a assuré la maîtrise d'ouvrage des 56 kilomètres de tram déjà en service, et une cinquième ligne est prévue en 2017. Elle gère aussi la logistique du stationnement de voirie et des parkings relais, 32 lignes de bus (121 véhicules), et 1800 vélos en libre-service A Montauban, la SEMTM (52 salariés) gère 7 lignes de bus, 100 vélos en location, une navette électrique de centre ville et du transport à la demande.
La SNCF sur les rangsDepuis sa fusion avec Transdev - historiquement leader de l'économie mixte dans les transports - Veolia a hérité d'une vingtaine de Sem. Jusqu'en 2010, le groupe n'en gérait pas une seule, aujourd'hui, elles représentent 50% de l'activité du groupe en France, en transport urbain (soit 600 millions d'euros de volume d'affaires 2012). "Avec la Caisse des dépôts montée à 60% du capital, nous avons une vraie chance de développer cette forme de partenariat avec les collectivités locales", relève Francis Chaput visiblement conscient du danger de la désertion des élus inquiets de la fusion entre Veolia et Transdev en 2010 et échaudés par ses atermoiements jusqu'à l'automne 2012.
"Avec la crise des finances publiques et le système de financement des transports publics à bout de souffle, tout tourne autour du prix, le modèle économique est à reconstruire dans les contrats avec les autorités organisatrices, les opérateurs doivent se positionner dans le co-construction", ajoute t-il.
C'est justement pour faire de co-construction que la SNCF a mis sur pied début 2012 une nouvelle filiale, SNCF Partenariat, dirigée par Joël Lebreton, le pape de l'économie mixte dans le secteur des transports. L'ancien patron de Transdev passé à la SNCF compte bien appliquer ses recettes pour séduire les élus à la tête de Sem et qui auraient mal vécu la saga de la fusion Veolia Transdev. En octobre 2012, il a raflé le contrat technique des transports urbains de Strasbourg, et espère faire coup double à Grenoble où la Semitag doit désigner son nouveau délégataire en février 2013.
Cette fois, avec Keolis comme mandataire comme ce fut le cas à Metz où le duo a remporté la mise en 2011 et lancera le Bus à haut niveau de service Mettis en 2013.
Transfert de risquesMais aujourd'hui, la philosophie de l'économie mixte basée sur le partage des risques entre l'autorité organisatrice et son délégataire prend certaines libertés. Si le dernier contrat signé à Montpellier est "vertueux" selon Bernard Subrat, l'élu qui préside TAM (au cas où les recettes commerciales ne sont pas au rendez-vous, l'opérateur n'est pas financièrement pénalisé), c'était en 2009... avant la crise.
"Dans les nouveaux contrats de transport en économie mixte, on observe un transfert de risques de l'actionnaire majoritaire (la collectivité) vers l'actionnaire minoritaire (l'opérateur), constate Francis Chaput. On nous impose un système de bonus-malus basé sur des objectifs de recettes".
A Grenoble par exemple, où le réseau de transport est actuellement en appel d'offres, l'opérateur devra prendre en charge 75% du risque commercial, la collectivité locale 25% !
"Concrètement, si les objectifs de recettes sont de 40 millions d'euros et s'il manque un million, Veolia Transdev va apporter 750000 euros", traduit Francis Chaput. L'opérateur doit s'engager donc plus fortement dans la vie de l'entreprise et dans les actions commerciales. En contrepartie, "Si on met plus de moyens, on est plus rémunérés", tempère-t-il.
Quid du partage des bénéfices ? "Il n'y a pas de dividendes dans une Sem, si elle dépense moins que prévu, la collectivité locale nous demande de reverser la partie économisée, explique Emmanuel Boivin, directeur de la Sem de transports de Montauban.
L'économie mixte prend donc certaines libertés et emprunte la notion de risque inhérente à la délégation de service public.
Non contents de s'affronter sur le terrain des Sem, Veolia Transdev et Keolis se disent aujourd'hui prêts à accompagner les régies et les sociétés publiques locales de transport, puisque certaines agglomérations repassent à ce type de gestion. "Car une SPL isolée se met en danger", insiste Francis Chaput. A Cannes, où les élus du Syndicat mixte des transports ont récemment choisi la formule de la régie, un appel d'offres d'assistance technique a été lancé pour la mise en place de ladite régie et du projet de BHNS. Veolia Transdev a remporté le contrat.
"Les régies urbaines nous sollicitent pour faire de l'assistance technique, confirme Patrick Jeantet. Ils veulent profiter de notre retour d'expérience car un groupe, c'est un réseau de savoir-faire, d'expertise, d'innovation, de managers".
Les élus sont libres de choisir le mode d'administration de leurs réseaux de transport, mais pour les opérateurs privés, il ne s'agit pas d'en perdre une miette.
Qui est passé en régie, en SPL, en DSP ?En 2012, sept agglomérations ont décidé de changer de mode de gestion pour leur réseau de transport selon le dernier recensement d'AGIR, l'association qui réunit les réseaux indépendants :
- délégation de service public vers une régie : Nice, Cannes, Clermont-Ferrand, Périgueux
- délégation de service public vers une Société publique locale (SPL) : Dax, Saint-Brieuc, Thionville
En 2010 (année d'ouverture du statut de SPL pour le transport) et 2011, quatre réseaux urbains avaient franchi le pas :
- délégation de service public (DSP) vers une SPL : Saumur, Forbach, Maubeuge, Saint-Nazaire. Et cinq entreprises de transport interurbain en gestion directe ont vu le jour pour l'exploitation partielle ou totale du réseau d'autocars : Ille-et-Vilaine (régie), Pyrénées Orientales (régie), Ardèche-Drôme (SPL), Saône-et-Loire (SPL), Tarn (SPL).
- SEM passée en DSP : Bayonne, Orléans