À bord de la ligne numéro 1 avec la France qui se lève tôt
Des 22 lignes que compte le réseau TCRA, la "une" est de très loin la plus fréquentée. Chaque jour, elle charrie un quart des usagers des transports en commun de l'agglomération. Elle creuse son sillon de Saint-Chamand au centre-ville en passant par Cap Sud, la Barbière et Saint-Ruf puis traverse l'intra-muros pour ressortir par la rue Thiers en direction du lycée René-Char.
Dans une agglomération où la voiture demeure le mode de transport ultra-dominant, hormis les personnes âgées et les enfants, ce sont les plus modestes qu'on y retrouve. C'est à bord d'un de ces bus, dans ces quelques mètres carrés bringuebalants que l'on rencontre la France d'en bas. Celle qu'on n'entend pas ou rarement, qui se lève tôt pour chaque jour décrocher sa subsistance.
En ce matin de rentrée, je monte à bord de la "une" à l'arrêt "Académie", la vie est décidément bien faite. Après m'être soulagé des 1,3 € requis, je m'assois. "Lundi, mardi, mercrediiiii...", une voix de fillette monte du fond du bus. Elle se réjouit en chanson de son grand retour à l'école. La jeune fille en face de moi réprime un bâillement. Trahie par les oscillations anormales de sa tête, une autre un peu plus loin somnole à coup sûr derrière ses lunettes noires. "Ah les crocro, les crocro, les crocodiiiiiles", entonne de plus belle la gamine alors que le bus file en direction de Pont-des-deux-eaux. Plus très jeune, sa carlingue claque de toutes parts dans un raffut d'enfer. Du regard, je tente d'identifier la maudite plaque de métal mal jointe qui lance de violents coups qui tapent dans la tête. Nouvel arrêt : la fillette saute du bus avec sa maman qui porte dans les bras un autre bébé, direction l'école. Elle ne le saura jamais mais cette petite aux cheveux crépus aura offert avec ses comptines un inestimable échantillon de joie à une petite dizaine de personnes à l'aube d'une longue journée.
Au ralenti, la résonance des vibrations du moteur secoue tout le corps. À la TCRA, certains matériels roulants sont surtout branlants. Alors que le bus qui halète repart de son arrêt, le chauffeur pile brusquement pour laisser monter une dame arrivée en courant. Quelle violence matinale est ainsi faite aux pauvres usagers des transports publics !
Black-blanc-beur
À la poste, le jeune avec le casque Dr Dre, la petite blonde au carré, l'homme au bouquin et le trentenaire à la tonsure marquée débarquent. Monte un jeune au t-shirt moulant Guess et aux écouteurs rose fluo qui fonce vers la dernière rangée tout au fond du bus, depuis toujours le repère des insoumis. À Avignon, même aux heures de pointe, même à bord de la ligne la plus fréquentée, les bus sont le plus souvent aux deux tiers vides.
Arrivé à Saint-Chamand, il n'y a plus que moi. Moment furtif de complicité avec le chauffeur qui a fini son service et me dépose cinquante mètres avant le terminus "pour repartir plus facilement au dépôt". Deux minutes plus tard, je repars dans l'autre sens à bord d'un beau bus "Solaris" nettement plus silencieux et agréable. Sur le chemin du centre-ville, il se remplit rapidement. On voit des femmes voilées, des cheveux gras, des belles quinquas, des acnéiques, des mal fagotés et des jeunes beautés, c'est la France black-blanc-beur. Chacun vaque paisiblement à ses pensées, sa discussion ou sa musique. Dans une société dont les fâcheux dénoncent chaque jour le délitement avancé, la violence croissante et la perte de valeurs, nulle trace d'incivilité ou d'agressivité.
Loin des récits marquants d'agressions commises dans des bus, on s'étonne presque d'entendre la plupart des gens quitter l'embarcation sur un poli "au revoir" ou "merci" à l'adresse du chauffeur et de voir des jeunes branchés laisser leur place assise à des personnes âgées. Et on se dit que tout n'est peut-être pas perdu. Le chauffeur essaime ses passagers dans le centre-ville. Arrivé à mon point de départ, je descends à mon tour sans me retourner. Je me rattrape in extremis pour lancer un "au revoir" à travers les portes qui se referment.
Une fréquentation riquiqui de 40 000 voyages/jour
40 000 c'est en moyenne le nombre de voyages/jour sur le réseau TCRA (budget 30 M€). Un chiffre particulièrement faible qui aboutit au ratio de 81 voyages par an et par habitant. À titre de comparaison, à Besançon (25), agglomération de 180 000 âmes en tout point comparable et qui s'apprête, elle aussi, à se doter d'un tramway (Marie-Josée Roig la cite souvent en exemple et y a même fait un déplacement en début d'année), cette moyenne s'élève à 129 voyages/an/habitant et grimpe à 180 pour la seule ville centre.
Malgré les efforts consentis par le Grand Avignon en 2012 pour améliorer la situation, le règne du tout-voiture, la quasi-absence de pôles d'échanges et de couloirs dédiés qui fait que les bus sont le plus souvent encalminés dans les embouteillages, l'amplitude horaire faible et la mauvaise couverture des week-ends et jours fériés, explique cette désaffection des Grand-Avignonnais. Bref, vu le retard accumulé, seul un projet de grande envergure pourrait changer profondément la donne dans la cité des papes. La gratuité des bus au coeur des municipales
Pour répondre au projet de tramway que porte depuis plusieurs années l'équipe Roig et dont les travaux commenceront d'ici à quelques mois, Cécile Helle (PS) a fait de la gratuité des transports publics l'une des propositions majeures de son projet. Les 4 millions d'€ de recettes tirées des abonnements, une paille à côté des 250 M€ du tram, pourraient aisément être compensées par l'augmentation du versement transport. Cette mesure, qui lui a été soufflée par Jean-Pierre Cervantes (Europe écologie-Les Verts), permettrait selon elle de redonner aux familles du pouvoir d'achat et d'augmenter la fréquentation globalement faible du réseau. En réaction, Marie-Josée Roig a fait savoir au printemps qu'elle aussi étudiait la question à l'occasion d'un déplacement à Aubagne où la gratuité des transports a été instaurée il y a plusieurs années. Tram à droite contre gratuité à gauche, au regard des enjeux, les transports seront certainement un thème majeur de la campagne des municipales qui se rapprochent.
http://www.laprovence.com/article/editi ... e-tot.html