Faut-il vraiment installer des téléphériques en ville ?
Voici le fameux téléphérique du Renon. Ce câble de 4500 mètres de long, situé à Bolzano, en Italie, fait figure symbole, voire de matrice, pour les urbanistes et aménageurs de toute l’Europe. Du quartier de la gare, la vaste cabine s’élève, surplombant les vignes puis les alpages, et rallie Soprabolzano, une bourgade de 1000 habitants située à 1200 mètres d’altitude.
Depuis des travaux qui ont permis d’accélérer son débit, en 2009, le Renon est une vedette. On ne compte plus les articles de presse, les communications scientifiques ou les documents powerpoints diffusés par des fonctionnaires territoriaux enthousiastes qui font de cet ouvrage un modèle de téléphérique urbain. La fièvre a gagné l’Hexagone. A Toulouse, un câble doit traverser la Garonne en 2017. Brest prévoit de relier les deux rives de la Penfeld. Entre Créteil et Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), on rêve d’installer un téléphérique survolant entrepôts, rocades et friches urbaines. Plus confortable et silencieux que le bus, moins oppressant que le métro, moins cher que le tramway, plus ludique que les embouteillages, le téléphérique séduit jusqu’au Groupement des autorités responsables de transport (GART) qui lui a consacré un colloque à l’automne.
Passionnel. "Je reçois des délégations d’élus tous les deux mois", lâche le Français Dominic Bosio, responsable commercial de la société italienne Leitner, qui a construit le Renon et dont le siège est situé à Vipiteno/Sterzing, au nord de Bolzano. Les édiles repartent enthousiastes, paraît-il, cherchant des arguments pour convaincre leurs électeurs récalcitrants. C’est que le câble a autant de thuriféraires que ses détracteurs. Tous aussi mordants les uns que les autres. C’est dingue ce que ce truc attise les passions.
12 minutes pour descendre. En attendant, le voyage de Bolzano est un dépaysement. Dans cette Italie-là, on parle allemand. La région, Alto Adige en italien, Südtirol en allemand, a été soustraite à l’empire d’Autriche-Hongrie en 1918 (pour l’histoire détaillée, voir Wikipedia). Les habitants ont gardé la langue et les habitudes culinaires, spätzle, schweinebraten et apfelstrudel, de leurs ancêtres. A la station supérieure du téléphérique, Oskar, la trentaine, cheveux filasses, employé des transports publics locaux, accueille le visiteur avec un sourire et prévient : "Ich spreche nur Deutsch". Le Renon est un succès, explique-t-il. Chaque jour, entre 800 et 2000 personnes empruntent (dans les deux sens) l’une des huit cabines de 30 places accrochées au câble : des habitants de Soprabolzano (Oberbozen en allemand) qui travaillent en ville, des collégiens et, l’été surtout, pas mal de touristes qui viennent admirer la vue imprenable sur le massif des Dolomites. Première déception : contrairement à ce qu’annoncent tous les convertis au câble, le Renon n’est pas vraiment un téléphérique urbain, dans lequel s’engouffreraient les travailleurs matin et soir. Il s’agit plutôt d’un moyen de transport qui, accessoirement, permet quelques déplacements entre domicile et travail.
3000 personnes à l'heure. Le téléphérique en ville est-il vraiment une bonne idée ? "Pas partout", admet M. Bosio, qui est pourtant chargé de les vendre. En faisant visiter le domaine skiable de Ratschings/Racines, non loin de la frontière autrichienne, le responsable commercial raconte ces détails qui font hésiter les aménageurs comme les élus. "Le câble présente un débit limité à 3000 personnes à l’heure. C’est l’équivalent d’un bus toutes les minutes, mais c’est trois fois moins qu’un tramway", indique le commercial, qui précise : "L’écart de 25 mètres entre deux cabines suspendues, sur le câble, se réduit à 2,5 mètres dans la station". En cas d’incident affectant l’un des "œufs", pas question de l’isoler, mais "il faut arrêter l’ensemble du système, car les cabines sont reliées par le même câble", ajoute M. Bosio. Le téléphérique présente un autre inconvénient : les stations de départ et d’arrivée présentent une emprise de 500 à 800 m², bien plus qu’un abribus ou qu’une station de tramway. En outre, si les remontées mécaniques présentent des faibles coûts de maintenance, ceux-ci ne sont pas aussi avantageux en ville. Un téléphérique urbain circule en effet environ 7000 heures par an, contre 1500 en montagne.
Encore identifiés aux vacances d’hiver, les "œufs" demeurent par ailleurs peu adaptés à un usage urbain. "Les skieurs sont habitués à monter sportivement dans une petite cabine en mouvement, mais ce n’est pas forcément le cas des parents avec poussettes ni des personnes âgées", indique le responsable commercial de Leitner. La solution, selon lui, consiste à "proposer des vastes cabines, comme au Renon". Il faut ajouter à cette liste deux arguments régulièrement avancés par les opposants : le câble ne séduira jamais les voyageurs sujets au vertige (pas davantage que les claustrophobes ne prennent le métro), et effrayera toujours une partie des riverains vivant à proximité, inquiets que l’on puisse les surprendre dans leur intimité.
Projets avortés. Alors, le téléphérique urbain, une utopie ? "Non", répond finalement M. Bosio. Mais ce mode "est idéal pour une liaison courte, destinée à surmonter un véritable obstacle naturel". Un ravin, un bras de mer, soit. Mais un fleuve, un quartier ou une zone industrielle ? De fait, en France, aucun des projets avancés ces dernières années n’a finalement vu le jour. Le prochain test sera sans doute Brest. L'agglomération souhaite un "funitel", une cabine soutenue par un double câble à la fois tracteur et porteur, qui offre moins d’emprise au vent. "Le problème du double câble, c’est la maintenance, très onéreuse", déplore M. Bosio. Selon lui, les prochains téléphériques urbains ne seront pas inaugurés en France mais en Russie, au Brésil ou au Mexique. En visite dans le Tyrol italien, Jaime Agudelo, qui a installé un téléphérique à Manizales (Colombie, 420000 habitants), est convaincu. Le premier tronçon, inauguré en 2009, a modifié les transports dans la ville. Il est venu en Europe pour en commander un second.
Source http://transports.blog.lemonde.fr/2013/ ... -en-ville/