Nouvel éboulement spectaculaire à Meillerie : la falaise reste une menace permanente
L'effondrement a enseveli la route sous 10 mètres d'épaisseur de rochers.
Certains espèrent que la chute de centaines de mètres cubes de rochers sur la route fera accélérer un dossier qui traîne depuis des années et qui permettrait de créer un tunnel sous la montagne qui peut encore tomber.Plus de peur que de mal. « Un vrai miracle », pour certains. L'éboulement de 500 à 600 tonnes de rochers, samedi 19 janvier, sur la RD 1005, entre Meillerie et Saint-Gingolph, aurait pu virer au drame. L'axe franco-suisse voit en effet passer « entre 7000 et 10000 véhicules quotidiennement », insiste le maire de Saint-Gingolph, Raymond Peray. Surtout le samedi où les Suisses venant faire leurs courses côté français sont nombreux.
Ces centaines de tonnes de gravats qui coupent la route - a priori jusqu'à vendredi 25 janvier - rappellent que le secteur est particulièrement dangereux. Les précédents sont nombreux : en 1995, un éboulement avait anéanti des engins dans la carrière de Meillerie ; en 2004, c'est sur la route que les rochers étaient tombés ; en 2011, encore, la départementale avait été coupée plusieurs jours afin de purger la falaise d'un éperon particulièrement menaçant. Les problèmes semblent se multiplier : « Avant, quand vous passiez et que vous preniez un caillou sur la voiture, vous n'aviez pas de chance ; maintenant, si vous passez sans prendre de caillou, vous avez de la chance », s'alarme le maire de Meillerie, Laurent Pertuiset.
Un danger reconnu par les autoritésA part quelques filets de protection, rien de sérieux n'a été engagé jusqu'à ce jour : « On ne fait que mettre des pansements sur une jambe de bois, ça coûte très cher », raille M. Pertuiset. Les autorités ont pourtant bien conscience du danger : « La RD 1005 (...) est sujette à un risque potentiel d'éboulement de la falaise qui la surplombe. La sécurité des nombreux usagers qui empruntent quotidiennement cet axe est une priorité absolue », écrivait dans un courrier, en 2011, le préfet de la Haute-Savoie.
Signe que le sujet préoccupait l’État et les élus avant même l'éboulement, une réunion s'était tenue au conseil général, dix jours plus tôt. Gaston Lacroix, conseiller général du canton d'Evian, explique qu'il s'agissait de définir clairement « la vision du Département, non pas uniquement sur la falaise et le contournement de Saint-Gingolph, mais sur toute la portion entre Thonon et Saint-Gingolph ». Il s'agit surtout d'aller au-delà des 10 millions d'euros budgétés en 2013 pour d'énièmes travaux de sécurisation de la falaise.
M. Lacroix plaide en effet pour des aménagements globaux et urgents à l'est du Chablais : « A l'ouest, on nous parle de bouchons, c'est un vrai problème. Mais moi je parle de sécurité, je mets l'accent sur la dangerosité de la route. De ce côté, il y a aussi des bouchons, mais avec une falaise qui tombe, en plus. »
Percer un tunnel de 2,7 km pour les véhiculesDeux chiffrages ont été demandés : le premier concerne la mise au gabarit des routes du plateau de Gavot, pour absorber la circulation grandissante ; le second porte sur un tunnel de 2,7 km qui permettrait d'éviter Meillerie et sa falaise. Si 20 millions d'euros ont d'ores et déjà été accordés pour réaliser le contournement de Saint-Gingolph, il va falloir prévoir des phases pour financer le tunnel, qu'une première estimation livre à 200 millions d'euros. Quasiment autant que l'ardoise de la 2x2 voies Machilly-Thonon.
La solution du tunnel semble en effet la seule pertinente, pour Gaston Lacroix : « La montagne, à cet endroit, n'est pas un seul bloc, c'est un empilement de roches. C'est très très très dangereux. » Ce qui est tombé ces derniers jours est infime par rapport à la taille de la montagne, minée de multiples failles, et qui menace toujours de s'effondrer. En cas d'éboulement massif, la fermeture de la route a été estimée à trois ans.
Benoît Grandcollot, qui plaide pour la réouverture de la voie ferroviaire du Tonkin, parallèle à la route, souligne que « la ligne, si elle avait été ouverte, aurait été circulable » même après l'éboulement.
« Les anciens avaient tout compris : pour faire passer le train, ils avaient choisi de creuser un tunnel qui est encore d'une grande qualité », rappelle Raymond Peray, qui soulève, en outre, l'augmentation du trafic routier « de 10 à 15% ces derniers mois ». Ledit tunnel a d'ailleurs été utilisé ses derniers jours par des frontaliers traversant à pied la zone à risque, ou pour ravitailler le village de Saint-Gingolph.
L'idée d'un tunnel pourrait donc être accélérée suite aux événements récents. Après tout, plaident certains, le tunnel du Mont-Blanc, nettement plus long, a été percé pour un trafic bien inférieur, d'à peine 5000 véhicules par jour.
La carrière pointée du doigt ?En sus des études sur l'aménagement de la route, Agnès Deroudhile, présidente de l'Association pour un développement harmonieux du Pays d'Evian, entend réclamer que soient déterminées les causes de la fragilité de la falaise. Sans prétendre la juger responsable, elle rappelle que juste au-dessus se trouve une carrière : « Lorsqu'il y a des tirs de mine, les maisons tremblent jusqu'à l'autre bout du village. Ce ne doit pas être anodin pour la falaise et les nombreuses failles qui la composent. »
Saint-Gingolph : le maire organise... le système DMédecins, poste, cantine, boucherie, pharmacie, épicerie... Le maire de Saint-Gingolph, Raymond Peray, doit gérer des dizaines de problèmes à la fois pour que son village soit le moins coupé du monde possible. Les solutions tiennent vraiment du système D : « Le seul avantage c'est qu'à force d'avoir des ennuis, on affine les processus », philosophe l'édile.
Dès la fermeture de la route connue, le maire a tout fait pour s'assurer qu'en cas d'urgence les secours pourraient intervenir sur sa commune : « Nous avons résolu le problème avec des médecins ; même chose en cas d'incendie : les Suisses interviendront. » Puis, au fil des heures de nouvelles questions se sont posées : la livraison des repas aux personnes âgées ou ceux préparés à Thonon pour les cinquante-cinq enfants de la cantine gingolaise. « Nous les faisons passer par le tunnel de la voie ferrée. » Le courrier, comme les médicaments, eux, transitent par-dessus le tas de pierres éboulées : « On fait venir une voiture de La Poste de chaque côté ; on arrête les travaux le temps d'échanger les lettres. »
Farine, viande... pourraient manquerL'approvisionnement des commerces de bouche reste plus compliqué à gérer : « Je ne sais pas comment organiser les livraisons de farine pour la boulangerie ou de viande pour la boucherie. C'est très compliqué par la Suisse ; il faut que l'on voie cela avec les douanes. » Quitte à plomber, avec les douaniers, les camions, le temps de les faire transiter par le sol helvète.
« La question se pose également pour l'épicerie : elle fait sûrement des affaires en ce moment, mais elle va vite être dévalisée », note Raymond Peray.
Le maire s'inquiète également de son stock de sel pour sécuriser les routes : « On n'a plus de sel et on nous annonce encore de la neige. Or, le camion qui nous livre ne peut pas passer par le Pas de Morgins qui est interdit aux plus de 3,5 tonnes... » Au milieu de toutes ces tracas du quotidien, Raymond Peray tient à rendre hommage à ses amis suisses : « C'est très sympa que les Suisses nous aident ; il y a une vraie solidarité inter-frontalière. C'est le fruit d'un travail local et des liens que l'on a créés. »