Sinon, un article de Courrier International publié jeudi 31 mai propose une traduction d'un article de La Repubblica du 29 avril
Mon "expérience de voyage" dans un train privé
Une compagnie ferroviaire privée qui entend concurrencer Trenitalia a lancé ses premiers trains. Les Italiens se pressent pour tester le service - parmi eux, un journaliste qui commente commente avec ironie le discours commercial de l'entreprise.
"Toilettes occupées ! Toilet busy !" Je décèle une pointe d'irritation dans la petite voix masculine enregistrée qui vous arrête si vous cherchez à ouvrir la porte des toilettes, précisément occupées. Mais elles sont toutes occupées, les toilettes, sur ce premier train privé d'Italie, un Italo rouge Ferrari flambant neuf qui relie Milan à Rome. Que se passe-t-il ? Nous ne sommes même pas à Melegnano [ville de la province de Milan], pourquoi est-ce que tout le monde va aux toilettes ? Ce doit être l'excitation du jouet neuf. Il faut tout voir, tout essayer, fouiner partout ! Il y a foule jusque devant les deux distributeurs automatiques, vers le milieu du train, où un espresso coûte 1,50 euro et une friandise 2 euros. Dans les couloirs, les enfants s'amusent à appuyer sur les boutons des toilettes pour écouter la petite voix furieuse, et se mettent à rire.
Il règne une atmosphère de croisière dans ce train. Une nouvelle ère commence, celle du marché ferroviaire libre. On a l'impression de faire le tout premier tour sur un nouveau manège. Toutes les places sont occupées.
La concurrence sur les rails ne se livre pas à coups de réductions. Luca di Montezemolo [dirigeant de NTV, le premier opérateur privé italien] et ses associés ont décidé de jouer sur d'autres arguments. Lequel ? Le luxe ? Oui et non. La classe Club, la plus chère, est équipée de deux petits salons privatifs mais un peu claustrophobiques dont les quatre sièges sont vendus en bloc comme une loge à la Scala [le théâtre de Milan].
Et puis ? Ah oui, des repas chauds! Petites seiches aux petits pois ou courgettes farcies, le menu compris entre 17 et 22 euros est servi à votre place. Il n'y a pas de voiture restaurant : on vous apporte votre commande dans une "Italobox", comme dans l'avion. La connexion wifi gratuite est un joli coup, mais sur 460 passagers, au moins trois cents ont un smartphone, d'où une rapide saturation du réseau. Il n'y a finalement rien à bord qu'un voyageur un tant soit peu expérimenté n'ait déjà vu sur n'importe quel vol, à l'instar des films et des journaux télévisés diffusés sur les écrans suspendus au plafond de la voiture Smart Cine.
Qu'à cela ne tienne, l'important est de jouer avec les mots. Sur les trains de la Nuovo Trasporto Viaggiatori [nom de la nouvelle compagnie], on n'achète pas un trajet mais une "expérience de voyage". Dans la gare, ce n'est pas un guichet qui vous accueille mais une "way of caring" [un service aux petits oignons]. On ne monte pas en voiture mais "on pénètre dans une ambiance". Les classes ont disparu, parce que "seconde classe", cela fait triste. L'Italo propose donc le Club, la Prima et la Smart. Mais même s'il arbore sur sa poitrine l'étiquette "Train Manager", le chef de train reste un chef de train, et le "steward", son assistant.
Certes, le personnel de bord est nombreux, mais uniquement parce que c'est le début. Une quinzaine d'employés disponibles, souriants, impeccables dans leur uniforme, très jeunes et tout juste embauchés, se montrent enthousiasmés par cette aventure qui commence. A tel point qu'ils paraissent un peu agaçants avec leurs formules de savoir-vivre apprises à l'"Ecole d'accueil" de l'entreprise. "Bonjour, comment puis-je vous aider ?"
Je suis quand même content, au moins aujourd'hui : le premier Italo part de la Porte Garibaldi [gare de Milan] à 8h19 précises, passe avec cinq minutes d'avance à la gare de Rogoredo à Milan, et trois à Bologne. J'épie les regards des voyageurs de première classe, et une scène me fait comprendre pourquoi le succès est au rendez-vous. Devant la porte coulissante glissant sans heurts, une femme en tailleur s'exclame, stupéfaite : "Regardez! Ça marche !" Le passager italien exaspéré rêve d'une porte de train qui ne se referme pas brutalement sur lui comme une hache.
Eh oui, l'atout des trains de Montezemolo, ce ne sont pas ses effets spéciaux, mais le retour à un service décent. Payer pour un siège non maculé, ne plus entendre les annonces grésiller dans les hauts-parleurs, ne plus trouver des toilettes répugnantes. Comme dans les pays civilisés d'Europe. Mais peut-être n'est-ce qu'une illusion, comme la première promenade dans la voiture neuve de papa, avec le désodorisant suspendu au rétroviseur, quand on surveille si personne ne fait de miettes. Ca ne dure pas.
"Toilettes hors service, toilet out of service !" lance, à hauteur d'Arezzo, la petite voix irritée des toilettes. Qui sait combien de temps il faudra à ces rutilants trains tout juste sortis de leur emballage cellophane pour devenir italiens ?