Réforme ferroviaire: le gendarme du rail met les pieds dans le plat
L'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) s'interroge sur le réel pouvoir que la réforme du rail lui réserve et pointe des incohérences dans le rapport Bianco remis au gouvernement pour la mener à bien. Dans un document envoyé fin avril 2013 au ministre des Transports et que MobiliCités a pu consulter, le gendarme du rail fait un certain nombre de propositions pour pouvoir jouer pleinement son rôle et ne pas voir l'opérateur historique, la SNCF, le contourner.
Dans le rapport remis fin avril 2013 au gouvernement qui doit maintenant arbitrer avant de présenter son projet de réforme ferroviaire devant le Parlement, l'ancien ministre de l’Équipement et des Transports Jean-Louis Bianco préconise de regrouper la SNCF et le gestionnaire d'infrastructures unifié. Un GIU qui rassemblerait l'actuel RFF et le personnel SNCF chargé des infrastructures ferroviaires dans un nouveau pôle public ferroviaire. Avec un "établissement mère" coiffant le tout.
La SNCF et le GIU serait sous le contrôle du Parlement et de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (l'Araf) pour garantir un accès équitable au réseau ferré à tous les transporteurs (publics et privés), surtout quand les lignes intérieures seront ouvertes à la concurrence - en 2019 dernier carat - comme l'exige l'Union européenne.
Mais qui présidera cet établissement mère ? Si J.L Bianco n'en dit mot, le patron de la SNCF Guillaume Pepy est pressenti. Et l'Araf censée devenir un super régulateur voit d'un mauvais œil cette "remonopolisation" du système par l'opérateur historique.
"Des structures pour contourner le régulateur"
"On nous dit qu'on va renforcer notre pouvoir, et on prévoit des structures pour nous contourner, comme le Haut Comité. Les rares indications apportées dans le rapport Bianco sur sa mise en place laisse planer un doute, notamment sur le renforcement de notre rôle d'instance de recours" commente-t-on à l'Araf. Dans son rapport, Jean-Louis Bianco qui a mené 200 auditions pour arriver à ce document succinct nous demande de contrôler celui qui ne posera pas de problème, à savoir le GIU", poursuit cette même source qui se dit très sceptique sur la réforme.
"Le renforcement des pouvoirs de l'Araf ne peut suffire si le cadre réglementaire dans lequel agissent les acteurs ferroviaires n'est pas propice à une bonne régulation", estime le gendarme du rail dans un document envoyé fin avril au ministre des Transports Frédéric Cuvillier et que MobiliCités s'est procuré.
L'autorité avance plus de dix propositions pour faire évoluer ses pouvoirs dans le cadre de la réforme. Et propose par ailleurs de renoncer en 2014 à l'argent que lui verse RFF sur les péages perçus.
Voici les principales propositions de l'Araf pour pouvoir jouer son rôle de régulateur après la réforme du rail :
Une séparation comptable entre les activités ferroviaires de la SNCF : des comptes séparés, certifiés, attestés par les commissaires aux comptes et publiés annuellement.
-> Objectif du régulateur : "prévenir toute subvention croisée entre les gestionnaires d'infrastructures (SNCF Infra, Direction de la circulation ferroviaire, Gares & Connexions qui dépendent de la SNCF) et les opérateurs de transport conventionné (la SNCF avec les TER, Transilien, les Trains d'équilibre du territoire-TET), d'une part. Et entre les activités concurrentielles et celles bénéficiant de fonds publics (TER, TET, Transilien, Gares & Connexions), d'autre part".
"Les questions de flux financiers entre les entités subsisteront après la réforme dès lors que les activités ne sont pas strictement séparées. On le voit avec l'enquête de la Commission européenne sur les dividendes versées par DBNetz (le gestionnaires des infrastructures ferroviaires en Allemagne, ndlr), à Deutsche Bahn", commente l'Araf dans le document transmis au gouvernement.
Pouvoir émettre un avis conforme (il s'impose, contrairement à un avis simple qui n'est que consultatif) sur le code du réseau ferré afin de s'assurer du respect des exigences de transparence, d'équité et de non discrimination des différents opérateurs ferroviaires pour accéder au réseau.
-> Le régulateur craint en effet que le rattachement du gestionnaire d'infrastructures à la SNCF n'augmente les risques et les suspicions de discrimination entre la SNCF et les nouvelles entreprises ferroviaires (celles du fret qui existent déjà, et celles qui assureront des services voyageurs quand l'ouverture à la concurrence des lignes domestiques sera effective en 2019). "Les travaux conduits par l'Araf sur la séparation comptable de Gares & Connexions ont montré combien il était difficile de mettre en place des Murailles de Chine efficaces", peut-on lire dans le document transmis par le régulateur au gouvernement. "Ce rattachement au sein d'un même pôle risque de renforcer l'asymétrie d'informations à la disposition de la SNCF et à celle des nouveaux entrants, et de nuire à la transparence du système pour le régulateur", commente l'Araf.
Pouvoir approuver ou non les contrats types conclus entre le GIU et les transporteurs pour avoir accès au réseau ferré principal (à l'instar d'autres régulateurs de réseau comme l'ARCEPT dans les telecom ou la Commission de régulation de l'énergie.
-> Objectif, réduire les "nombreuses controverses" entre le gestionnaire d'infrastructures (RFF aujourd'hui, le GIU demain) et les opérateurs privés pour les demandes de sillons ferroviaires qui relèvent de contrats types.
Pouvoir émettre un avis conforme sur la tarification contenue dans le contrat de performance. Dans le plan de retour à l'équilibre du système ferroviaire proposé dans le rapport Bianco, un contrat décennal et actualisé tous les trois ans serait négocié et conclu avec l’État, le GIU et la SNCF. L'Araf demande aussi de pouvoir émettre un avis motivé sur les autres éléments du contrat de performance.
Pouvoir émettre un avis conforme (il s'impose) sur la tarification des prestations rendues par Fret SNCF ou Gares & Connexions dans les infrastructures de services. Exemple : stations de distribution de gazole, gares de voyageurs, cours de marchandises.
-> Objectif, garantir l'indépendance entre les fonctions du gestionnaire d'infrastructures et celles de l'exploitant (SNCF) qui agit en situation de monopole.
Confier à l'Araf un pouvoir de contrôle des fermetures d'infrastructures de services.
-> on l'a vu récemment avec la facturation systématique du coût d'un pompiste SNCF aux transporteurs privés s'approvisionnant en gazole pour faire rouler leurs trains de fret. L'Araf reproche à la SNCF son "manque de transparence" et son "manquement aux obligations de non-discrimination et d'accès aux installations".
Clarifier et renforcer le pouvoir d'accès de l'Araf aux informations commerciales, économiques, financières et sociales des entreprises ferroviaires.
Faire de l'Araf le représentant de la partie française au sein de la Commission intergouvernementale du tunnel sous la Manche (CIG), agissant en tant que régulateur.
-> Parce que aujourd'hui, la CIG est le régulateur défini par la loi, l'Araf n'a pas de compétence directe, alors que côté britannique, l'Office de régulation du rail est compétent pour les services ferroviaires du tunnel sous la Manche.
"Pour mener à bien la réforme du rail français, il faut du courage et de l'ambition. Il semble que l'on ait bridé l'ambition... à moins qu'il y ait un autre rapport Bianco, caché car plus détaillé que celui qui a été rendu public", conclue-t-on chez le régulateur.
L'Araf donnera-t-elle sa cassette à RFF ou au gouvernement ?
Chaque année, l'Araf se voit octroyer par le Parlement un budget ponctionné sur les recettes de Réseau ferré de France (RFF). Or, cette cagnotte dépasse ses besoins. Le gendarme du rail propose donc de renoncer à son budget en 2014. Question, cet argent restera-t-il chez RFF ou viendra-t-il abonder le budget de l’État ?
Dans une décision du 10 avril 2013, que MobiliCités a pu se procurer, le régulateur propose "aux ministres des Transports et du Budget de fixer exceptionnellement à 0 millième (au lieu de 0,37 millièmes) pour l'année 2014, le montant du droit assis sur les redevances d'utilisation du réseau ferré national versées à Réseau ferré de France".
Chaque année, selon le code des transports, l'Araf reçoit en effet une part (0,37 millièmes) des péages acquittés par les entreprises ferroviaires à Réseau ferré de France (RFF). Pour éviter que ce budget suive la même courbe que le produit des péages, dépassant rapidement les besoins de l'Autorité, la loi de Finances 2012 a décidé de le plafonner à 11 millions d'euros. Un montant inchangé pour 2013.
L'Araf qui monte en charge progressivement (mais qui n'a pas encore réussi à recruter les 56 experts dans ses locaux situés au Mans) a perçu lors de sa création en 2010 un budget pour l'année entière alors qu'elle n'a commencé à fonctionner qu'en fin d'année. L'autorité se retrouve donc avec un fond de roulement de 22 millions qui "dépasse ses besoins". D'où la décision de renoncer à son budget en 2014. Reste à savoir comment.
Deux solutions : fixer à 0 la redevance versée par RFF. Le gestionnaire des infrastructures verrait son budget abondé d'autant. Cette option a la préférence du régulateur. Ou bien, et ce serait plus profitable pour les caisses de l’État : fixer à 0 euro le plafond prévu en loi de Finances au lieu de 11 millions. Dans ce système, c'est l’État qui reçoit l'argent perçu au-delà du plafond. Le fixer à 0 reviendrait donc à abonder son budget d'une partie des ressources de RFF.
L'Araf a transmis officiellement au ministère des Transports et à Bercy le 29 avril 2013, sa proposition de ne pas ponctionner son budget pour 2014 sur RFF. La balle est désormais dans le camp du gouvernement mais on imagine mal Bercy renoncer lui, à ce budget inattendu.
Source http://www.mobilicites.com/fr_actualite ... _2547.html