Lyon-Turin : le face à face
Après qu'un millier d'opposants au Lyon-Turin se soit vu interdire de manifester à Lyon, place à la suite du débat confrontant pacifiquement deux visions écologistes de ce projet ferroviaire.Hier, à l'occasion du sommet franco-italien de Lyon, François Hollande et le président du Conseil transalpin Mario Monti ont signé une « déclaration commune relative au tunnel Lyon-Turin ». Et ceci après que Laurent Fabius, en charge des affaires étrangères, a annoncé en Conseil des ministres le 28 novembre dernier un projet de loi « autorisant l'approbation de l'accord pour la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin ». Pas de changement donc à ce sujet depuis l'arrivée au pouvoir des socialistes : leur politique s'inscrit dans la continuité des engagements pris par les gouvernements précédents. L’unanimité est néanmoins loin d’être de mise autour de ce gigantesque projet, comme en ont d’ailleurs témoigné hier le millier de manifestants qui a été encerclé par à peu près autant de policiers. Une contradiction qui s’exprime aussi chez nous, mais de façon plus paisible avec la fin du débat opposant nos deux écolos savoyards.
Nous en étions resté à la question de la rénovation de la ligne entre Saint-André-Le-Gaz et Chambéry. Pourquoi s'agit-il d'une nécessité ?Jean-Paul Lhuillier : Lyon-Chambéry par le train, c'est 1300 voyages directs par jour, 20 000 sur le parcours de la ligne. C'est aussi 10% d'usagers en plus chaque année. Aujourd'hui, c'est l'une des lignes les plus fréquentées de Rhône-Alpes. Sauf qu'on a un réseau ferroviaire qui est dans un état lamentable. Il faut le remettre en état si l'on veut permettre plus de report modal. Et le doublement de la voie entre Saint-André-Le-Gaz et Chambéry est une nécessité. Il faut moderniser ce tronçon.
Jérôme Rebourg : Le gros problème de cette ligne, c'est qu'elle est à sens unique, qu'elle est très sinueuse et que la vitesse de circulation oscille entre 50 et 90 km/h. Donc même si on met un milliard d'euros dessus pour la doubler, les trains n'iront pas plus vite. Et à côté, vous avez une autoroute où l'on roule à 130 km/h, 110 km/h dans les tunnels. Cette ligne ne sera jamais concurrentielle !
J.-P.L. : Quand je dis moderniser l'existant, je ne dis pas de prendre la voie existante et de mettre une autre voie à côté, comme on vient de le faire entre Valence et Grenoble.
J.R. : On va mettre un milliard d'euro ici, ok. Mais pourquoi ne pas prendre simplement le projet qui existe déjà ?
J.-P.L. : Car si on fait ça, l'Avant-pays savoyard n'aura plus jamais la possibilité de prendre le train.
J.R. : Pourquoi ?
J.-P.L. : Car la ligne existante entre Saint-André-Le-Gaz et Chambéry, il n'y a pas grand monde qui l'utilise...
J.R. : Tu sais combien il y a de voitures qui vont entre Chambéry et Lyon tous les jours ? Il y en a 14000...
J.-P.L. : Un peu plus même ! Mais ce ne sont pas tous des habitants de Chambéry...
J.R. : Si si…
J.-P.L. : Ok pour le nombre de voitures, mais ce ne sont pas forcément des Chambériens.
Mais s'il y a une nouvelle ligne permettant un trajet plus rapide entre Chambéry et Lyon par le train, cela ne va pas augmenter le report modal ?J.-P.L. : Oh que non ! Cela se saurait si c'était aussi facile que cela. Le vrai problème de cette ligne-là, c'est Saint-André-Le-Gaz – Chambéry. Il est admissible que l'on ait du ferroviaire aussi peu performant. Mais nous sommes opposés à la notion de vitesse. Elle sert à justifier le projet de LGV, alors même qu'elle ne sera jamais concurrentielle.
J.R. : Aujourd'hui, les débats et les enquêtes portent sur une ligne mixte et non sur une ligne LGV.
J.-P.L. : Oui, ce sont 7 milliards du projet Lyon-Turin.
J.R. : L'enjeu majeur du Lyon-Turin, c'est le fret et la partie voyageur locale, pas la LGV. C'est seulement comme cela qu'on parviendra à éviter le développement des autoroutes.
Ce n'est pourtant pas exactement ce que disent les promoteurs du Lyon-Turin...
J.R. : Eux c'est eux, moi c'est moi !
J.-P.L. : L'enquête publique est une erreur, ils ne mettent en avant que la partie voyageur.
J.R. : En 2007, la priorité était au fret, et là il avait été signé par tout le monde. Début 2010, ils ont décidé de phaser le projet pour donner la priorité aux voyageurs. Pendant deux ans, nous avons essayé de faire bouger ça, mais personne n’a voulu en parler, aussi bien à droite qu'à gauche. Résultat, on s'est retrouvé coincé en 2012 entre ceux qui rejettent tout en bloc et ceux qui veulent donner la priorité aux voyageurs. Notre position est simple : si on a l'argent on fait les deux, sinon on donne la priorité au fret. Mais si on refuse le projet aujourd'hui, on perd les financements européens.
J.-P.L. : Mais non, là, tu délires !
J.R. : C'est sûr que là, nous n'aurons plus la problématique du Lyon-Turin. Ça sera le règne du tout autoroutier !
J.-P.L. : Rien n'empêche l'Europe de financer une nouvelle infrastructure dans dix ou vingt ans s'il y a une demande de plus de 300 trains entre la France et l'Italie. Surtout que d'ici là, on ne devrait pas en avoir besoin car nous aurons mis en place des politiques afin de relocaliser nos activités de production.
Justement, y a-t-il un risque, si l'on fait le Lyon-Turin, d'avoir une nouvelle infrastructure ferroviaire surdimensionnée par rapport au nombre de camions à faire transiter ?J.R. : Peut-être que dans dix ans nous aurons à nouveau de l'argent pour faire le Lyon-Turin. Mais d’ici là, les autoroutes vont continuer à avancer !
J.-P.L. : Non !
J.R. : La preuve : les élargissement de l'A43, le Fréjus....
J.-P.L. : Non.
J.R. : Petit à petit, tous les ans, ils vont rajouter une pierre à l'édifice. Et dans dix ans, tout aura été fait pour l'autoroute.
J.-P.L. : On n’est pas du tout dans les mêmes échelles de temps.
J.R. : Ce sont deux projets concurrentiels !
J.-P.L. : La troisième voie pour les poids lourds sur l'A43 à La-Tour-du-Pin est une aberration ! On sera toujours contre toute amélioration du réseau autoroutier, et c'est la raison pour laquelle on lie toujours la question du Lyon-Turin et celle du tunnel du Fréjus.
J.R. : A La Motte-Servolex, il y a aussi un élargissement de l'A43, puis une nouvelle voie de sécurité qui, par un immense hasard, est exactement sur l'échangeur du contournement autoroutier. C'est une préparation homéopathique au contournement autoroutier de Chambéry !
J.-P.L. : Ce n'est effectivement pas un hasard. On se battra ensemble contre.
J.R. : Donc petit à petit ça avance, comme au Fréjus !
J.-P.L. : Nous sommes opposés à toute extension du réseau autoroutier.
J.R. : Mais ce que je constate depuis trois ou quatre mois, c'est que personne n'en parle chez les opposants au Lyon-Turin...
J.-P.L. : C'est faux !
J.R. : Le maire de La Motte-Servolex, qui est contre le Lyon-Turin, refuse totalement le débat.
J.-P.L. : C'est sa contradiction !
Cette question du doublement du tunnel du Fréjus, qu’en pense la coordination des opposants au Lyon-Turin ?J.-P.L. : La coordination est contre, ce qui n'est pas le cas de Louis Besson, le premier promoteur du Lyon-Turin. Je ne crois pas qu'il soit le porte-drapeau de la non-ouverture du second tunnel du Fréjus.
J.R. : Je le confirme.
J.-P.L. : Dans la coordination, 100% vont suivre la position contre le second tunnel du Fréjus. Mais c'est vrai, il y a une partie de suivistes, comme Bernadette Laclais avec Louis Besson.
Jérome Rebourg, vous voilà rassurés ?J.R. : Oui, je m'en félicite. Mais c'est la parole de la FNE, les autres communiquent peu sur ce sujet.
Si les pro Lyon-Turin ne veulent pas de la non ouverture du second tunnel du Fréjus, on pourrait aussi par raccourci en conclure que ces deux questions n'ont rien à voir.
J.R. : Je suis très seul, car je suis coincé entre des gens qui veulent un projet maximaliste et des gens qui veulent le statut quo. Et en plus, ils refusent le débat.
En ce moment même, il y a bien un dialogue entre vous...J.R. : Avec FNE oui, mais pas avec la coordination.
La FRAPNA et FNE viennent de demander à François Hollande la mise en place d'un grand débat public sur le dossier des transports entre Léman et Méditerranée. Vous y êtes favorables ?J.R. : J'y crois pas !
Vous ne pensez pas pouvoir convaincre de la justesse de vos arguments ?J.R. : Ce n'est pas cela le problème. Aujourd'hui, il n'y a aucune alternative par rapport au tunnel de base. La ligne historique est trop vieille pour pouvoir faire transiter des trains long, donc économiquement rentable, et en plus il faudrait plusieurs locomotives.
La solution n'est-elle pas ce procédé R-Shift-R que mettent en avant certains des opposants au Lyon-Turin ?J.-P.L. : Son concepteur est un ingénieur en mécanique. Avec un professeur en mathématique, il est parti d'une question tout simple : pourquoi le fret voyageur ne fonctionne pas ? Deux choses ont été mises au point. Il a commencé par démontrer qu'un des points dur du ferroviaire est sa lourdeur alors que le routier a une extrême souplesse en matière de marchandises. C'est une aberration, mais c'est la réalité ! Il faut donc résoudre le problème du chargement et du déchargement qui, en matière ferroviaire, est très long et donc pénalisant d'un point de vue économique. Ensuite il a conçu un outil, et c'est à partir de là que je l'ai moins suivi, qu'il appelle R-Shist-R. On gagne alors 200 fois le temps perdus.
Du coup, vous la défendez cette technologie ?J.-P.L. : On ne défendra jamais une technologie particulière, mais l'idée est bonne. Le problème en France, c'est que nous ne sommes pas capable d'aller au bout de nos idées.
J.R. : C'est faux. Aujourd'hui, cette technologie est une usine à gaz. C'est infaisable techniquement ! Quand un projet est proposé, le minimu est d'assurer que cela peut fonctionner.
J.-P.L. : Le Prédit l'a validé. Ce qu'il fallait faire après, c'est l'essayer grandeur nature...
J.R. : Non. Je leur met au défi de me prouver que c'est faisable. Il n'y aura jamais un ingénieur en mécanique qui certifiera ce procédé.
Et le plan B mis en avant par Michel Martin, un ingénieur en infrastructures ferroviaires ?J.R. : La question est toujours là-même : voulez-vous voir passer 150 trains par jour le long du lac-du-Bourget et dans les centre-villes d'Aix-les-Bains et Chambéry ?
J.-P.L. : Le plan B n'a rien à voir avec le procédé R-Shift-R !
J.R. : En fait, il y a plusieurs plan B en fonction de là où il est présenté. A la Motte-Servolex, on va privilégié un passage protégé le long du lac-du-Bourget ; et quand il est présenté au Lac du Bourget, on va plutôt le présenter avec une gare internationale à la place de l'aéroport et une sortie sous le Tremblay.
J.-P.L. : Ce qui est intéressant dans la démarche du plan B, c'est de contrarier le projet officiel tel qu'il est présenté en disant il y a d'autres solutions de tracé. Mon discours n'est pas celui-là, mais cela rappelle qu'un tracé se réalise en fonction d'un objectif et d'une commande politique. Aujourd'hui, l'ensemble du projet actuel proposé a été conçu en 1991 pour une LGV, pas pour une ligne mixte fret / voyageur.
Si le projet était remis à zéro et qu'un nouveau tracé d'une ligne mixte fret-voyageur était proposé, vous pourriez le soutenir ?J.-P.L. : Si le débat public devait déboucher sur la nécessité de construire une nouvelle voie. Donc il faut nous convaincre, on ne l'est pas.
J.R. : J'ai bien compris ça.
La FRAPNA et FNE sont quand même prêt à être convaincus...J.R. : Cela fait huit ans qu'on discute ensemble... ce n'est pas aujourd'hui qu'on va arriver à se mettre d'accord !
J.-P.L. : La notion de nouvelle voie ne nous rebute pas en soit. Si en voyageurs d'abord et en marchandises ensuite il y a un besoin, pourquoi pas. Mais aujourd'hui, il apparaît a peu près évident qu'entre Lyon et Saint-André-Le-Gaz les solutions sont en passes d'être validées. Le vrai problème, il est toujours entre saint-André-Le-Gaz et Chambéry et il faudra étudier comment on modernise ce tronçon.
J.R. : Depuis 2005, il y existe un tracé entre Grenet et Chambéry sur une ligne mixte, c'est la meilleur des solutions existantes.
J.-P.L. : C'est normal, il y a jamais eu d'argent pour payer des études d'autres tracés.
J.R. : La ligne mixte, c'est le projet Lyon-Turin.
On ne peut pas faire disparaître quand cela vous arrange la ligne LGV...J.R. : C'est la phase 4 du projet. Elle n'est pas en débat aujourd'hui !
J.-P.L. : S'il n'y pas la phase 4, la ligne mixte ne passe pas comme elle est présentée actuellement. On n'en pas encore parlé, mais il y a plusieurs passages pour l'Italie outre la Savoie. Il y en a trois. Tout d'abord, la transformation en cours du projet de LGV Paca en ligne mixte...
J.R. : Ah oui ?
J.-P.L. : C'est une certitude, ça été acté !
J.R. : Non, ce n'est pas vrai !
J.-P.L. : Si.
J.R. : Aujourd'hui, il faut être lucide. Le seul projet viable est celui du Lyon-Turin. C'est le moins pire qui existe pour permettre de mettre les camions sur les rails.
J.-P.L. : Le Lyon-Turin, c'est le vampire. Nous sommes pour la répartition raisonnée du trafic sur l'ensemble de l'arc alpin et non pas pour la concentration sur un seul axe. Il y a aussi un troisième projet dont on parle peu.
Lequel ?J.-P.L. : C'est le tunnel sous le Montgenèvre entre une ligne existante où il ne passe quasiment aucun train et Suse. Mais il y aura le même problème avec les italiens.
C'est un peu se débarrasser de la patate chaude du Lyon-Turin ?J.-P.L. : Pour les Italiens oui, mais pas pour nous Français. C'est totalement différent !
J.R. : C'est la même chose. Il faudra aussi construire un tunnel de 35 km de long pour faire passer du fret.
J.-P.L. : C'est nettement moins long qu'en Maurienne. Et c'est moins cher !
J.R. : D'accord. Mais il faut aller voir les gens dans le Val de Durance pour leur dire : vous allez maintenant avoir 150 trains par jours qui vont passer devant chez vous.
J.-P.L. : Ce sont exactement les mêmes problèmes que pour le Lyon-Turin ! Je ne défends pas ce projet. Je dis simplement qu'il y en a trois, et il y en même un quatrième qui est le merroutage.
C'est le ferroutage par la mer ?J.-P.L. : Oui. Cela fonctionne très bien et l'investissement est nul. Il faut répartir en ferroviaire et utiliser le merroutage.
J.R. : Les lignes existantes de merroutage ne fonctionnent que sous subventions de l'Europe. En plus, un bateau pollue quand même dix fois plus qu'un train.
J.-P.L. : Oui. Il y a énormément à faire pour réduire la pollution des bateaux. Pendant 40 ans, la France a tout donné au routier, en laissant de côté le ferroviaire et le navigable. Aujourd'hui, il faut rattraper ça en investissant l'argent qu'on veut mettre dans des projet inutiles comme le Lyon-Turin.
J.R. : On ne fais pas le Lyon-Turin d'accord, mais on devra se répartir le trafic poids lourd du Mont-Blanc.