Le Chablais penche de plus en plus à l'Est
De plus en plus de Chablaisiens prennent chaque matin la direction du canton de Vaud pour aller travailler. Le Chablais doit s'adapter.Si le canton de Genève reste le territoire qui emploie le plus grand nombre de résidents français, un mouvement de plus en plus affirmé fait du canton de Vaud et de Lausanne une sorte de nouvel eldorado.
Tandis que le nombre de frontaliers genevois (non-suisses résidents en France) progressait de 84 % entre 2003 et 2012, leur nombre faisait plus que doubler sur le canton de Vaud passant de 3000 personnes à plus de 6000.
RééquilibrageDans ce contexte, le Chablais et plus particulièrement le pays d'Evian figure en première ligne pour accueillir ces travailleurs. « Sur l'ensemble du pays d'Evian, 30% de la population active travaille en Suisse. Sur Neuvecelle, c'est environ 35% dont 80% sont employés sur Lausanne. Nous voyions nettement le phénomène s'accélérer depuis quatre ou cinq ans », note Louis Duret, président de la communauté de communes du Pays d'Evian et maire de Neuvecelle. Pour Jean-Pierre Fillion, président du syndicat intercommunal d'aménagement du Chablais (Siac), il n'y a pas de doute : « L'affirmation selon laquelle le Chablais est tourné vers Genève est de plus en plus fausse. Il y a un rééquilibrage entre Genève et Lausanne. L'attractivité de Lausanne qui s'exprime au travers de la présence de quelques institutions importantes comme l'école polytechnique fédérale. » A la fin de l'année 2011, le canton de Vaud comptait 12 entreprises de plus d'un millier de salariés (contre 16 à Genève) et 21 entreprises avec un effectif compris entre 500 et 1 000 employés (23 à Genève). Et Louis Duret de souligner : « Aujourd'hui, les lignes Navibus comme Thonon-Lausanne et Evian-Lausanne sont saturées. C'est quand même significatif. » Reste que pour le Chablais, cette dynamique impose de nécessaires adaptations. « C'est une nouvelle donne », glisse Louis Duret. Et Jean-Pierre Fillion d'ajouter : « Sur le pays d'Evian, c'est un phénomène qui a un impact sur toutes les communes. On constate que des villages de l'arrière pays, je pense à Saint-Paul par exemple, voient de plus en plus de frontaliers sur leur territoire. »
TransportLogiquement, c'est le transport qui pose le plus question pour les usagers frontaliers comme pour les élus : « Cette évolution implique de trouver des solutions pour désenclaver l'est du Chablais. En la matière, il n'y a pas de solution miracle. Compte tenu du peu de possibilité d'augmenter le trafic routier, il nous faut trouver une complémentarité entre les différents moyens de transport : la route mais aussi la voie ferrée à travers la ligne du Tonkin et le bateau. J'ajoute qu'il faut également envisager le problème des transports collectifs dans le Chablais que l'on doit encore développer », note Jean-Pierre Fillion.
En l'occurrence, c'est sur le dossier du transport lacustre que les choses semblent avancer le plus rapidement. « Ouvrir plus largement le lac au transport public dépend de deux choses. D'abord de la réalisation du projet de port de Lugrin qui permettra de mettre en place une nouvelle ligne.
Sur ce dossier les choses avancent bien puisque la semaine passée nous avons justement lancé l'appel à candidature pour l'aide à la maîtrise d’œuvre. Il nous faut ensuite trouver un cadre juridique adapté pour que les collectivités puissent participer davantage au financement du transport public lacustre », note Louis Duret. Et Jean-Pierre Fillion d'insister : « Il n'y a pas que la question du transport. Plus de gens travaillant à Lausanne suppose de disposer de logements, de service, d'équipements. Mais ce développement doit être maîtrisé en termes de consommation d'espaces. En la matière, même le pays d'Evian reconnaît la nécessité de développer les logements collectifs. »
A l'Est, la coopération transfrontalière avance lentementTandis que, à l'ouest, le projet d'agglomération franco-valdo-genevoise désormais appelé "Grand Genève" regroupe dans la même structure de coopération le canton de Genève, les communautés de communes du Bas-Chablais, des Collines du Léman ainsi que la ville de Thonon ; à l'est, la coopération est plus longue à se dessiner. « Le Grand Genève est une structure administrative et politique qui permet aux élus de se rencontrer pour traiter les dossiers. Pour l'instant, un tel cadre impliquant Lausanne n'existe pas », note Jean-Pierre Fillion.
Pourtant depuis 1987, le conseil du Léman fait office de structure de concertation entre Français (les départements de la Haute-Savoie et de l'Ain) et Suisses (cantons de Genève, Vaud et Valais). Bien que sans pouvoir décisionnel, cette instance contribue au développement de la coopération transfrontalière par la constitution d'une base de données touristiques, la mise à jour d'un schéma de cohérence lémanique des transports (purement informel) ou encore la signature d'une charte des paysages lémaniques. Pas suffisant pour accélérer le désenclavement de l'est du Chablais français.
Loin d'être aussi avancée qu'à l'ouest, la coopération transfrontalière à l'est n'est pourtant pas au point mort. « Au travers du projet des 3 Chablais porté notamment par des fonds européens, il existe aujourd'hui des structures de dialogue entre les responsables des Chablais français, vaudois et valaisan. Nous avons créé des aires de proximité qui sont des lieux de réflexions où les élus peuvent se rencontrer et discuter », explique le président du Siac. Et d'assurer de la nécessité d'augmenter encore ces échanges : « C'est indispensable. On voit par exemple que sur le dossier du désenclavement routier à l'est, les Suisses nous attendent. »