Dans cet autre article du journal
Le Monde qui est titré
« SNCF : direction et syndicats s’opposent sur le calcul des jours de grève » (voir :
https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/03/29/sncf-direction-et-syndicats-s-opposent-sur-le-calcul-des-jours-de-greve_5278155_3234.html) on lit :
Les syndicats CGT, UNSA et CFDT de la SNCF défendent un autre calcul. Sébastien Mariani, le secrétaire général adjoint de la CFDT, a jugé mercredi « très clairement contestable cette interprétation » de la grève comme « un seul et même mouvement » qui conduirait à des « retenues de salaire sur jours de repos », alors qu’« on a plusieurs préavis de grève successifs et différents. »
Il va de soi que pour la population il s’agit d’une seule et même grève, pour un seul et même ensemble de motifs. La fragmentation en 18 périodes n’est qu’une tactique, cela n’a pas pour effet de changer la raison d’être de ce mouvement.
Que ces préavis soient
« successifs » est une évidence, une lapalissade, même, car comment pourrait-il en être autrement ?
Mais que peuvent bien signifier
« des préavis de grève […] différents » ? Là il y a un os à gratter. Seraient-ils différents seulement parce qu'ils sont successifs ? Ça serait franchement tiré par les cheveux : cela reviendrait à dire qu'ils sont différents parce que ce ne sont pas les mêmes… On cherche en vain le sens profond de ces
« préavis de grève différents. »Les syndicats de cheminots ont joué sur l’ambiguïté. Ce litige va en appel, on peut se demander ce que les juges décideront car l'affaire n'est pas gagnée d'avance, ni pour un camp, ni pour l'autre. Et si le résultat ne convenait pas à la SNCF elle pourra toujours aller en cassation, et réciproquement.
Par ailleurs la principale contestation des syndicats de cheminots — car les autres désaccords en découlent en cascade — est l'opposition à la mise en concurrence des entreprises de transport ferroviaire, autrement dit la fin du monopole et l'introduction des compagnies privées. Or cette mise en concurrence est une décision de la Communauté européenne, elle s’impose à la France. Il s’agit en quelque sorte du
« fait du prince » auquel on ne peut pas se dérober. Mais là on n’est plus dans le cadre d’une revendication à caractère strictement professionnel, ce qui est un des critères de validité d’une grève.
Dans l’article du
Monde que j’avais cité précédemment (*) un des trois critères de validité d’une grève porte sur l’exigence de
« revendications professionnelles (sur la rémunération, les conditions de travail…) et non pas politiques. » Mais contester une décision de la Communauté européenne — qui s'impose au gouvernement français sans possibilité de s'en abstenir — pourrait être considéré comme
une revendication politique et non pas professionnelle, ce qui enlèverait de la validité à ce mouvement de grève.
Cette grève a été programmée en 18 séquences de deux jours, ce qui implique qu’elle a été planifiée dès le début et fragmentée pour des raisons seulement tactiques et pratiques, notamment pécuniaires afin d'étaler le manque à gagner. Cela ne signifie en rien que chacune de ces 18 séquences est motivée par des revendications différentes, puisque
toutes ces revendications ont été fixées dès le départ, avant même la première séquence. Pour rester dans la métaphore ferroviaire, on ne change pas si facilement la destination d’un train en marche.
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(*) Voir :
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/04/09/idee-recue-sur-la-greve-n-1-les-cheminots-effectuent-une-greve-perlee_5282787_4355770.html