La Chambre administrative invalide l’initiative sur les TPG
GENÈVE • Le peuple revotera sur l’initiative visant à réduire les tarifs des TPG. Le texte voté était différent de la feuille de récolte de signatures. Un sacré coup de tonnerre. La Chambre administrative de la Cour de justice a purement et simplement annulé la votation du 3 mars sur les tarifs des TPG. La décision a été communiquée jeudi dernier. Le peuple devra une nouvelle fois se rendre aux urnes pour se prononcer sur cette initiative lancée par l’Avivo, le lobby des retraités, et qui propose de confier au Grand Conseil – en lieu et place du Conseil d’Etat – la maîtrise des tarifs de la régie publique.
L’instance avait été saisie de deux recours émanant, l’un, du député libéral-radical Daniel Zaugg, et le second de Daniel Ceszkowski, au nom du Parti pirate. Les deux procédures attaquaient la votation sur un point précis : le texte sur lequel le peuple s’est prononcé n’est pas rigoureusement le même que celui qui était proposé sur la feuille de récolte de signatures.
Cette différence porte sur un point qui a largement fait débat durant la campagne : en proposant un tarif réduit aux jeunes âgés de 6 à 18 ans, les initiants auraient de facto discriminé la catégorie des 18-24 ans, qui ont actuellement droit à un tarif réduit.
Cette lecture est contestée par les initiants, qui estiment au contraire que la réduction dont bénéficient les 18-24 ans reste d’actualité, car prévue par le droit fédéral, le tarif réduit des 6-18 ans s’inscrivant lui dans la latitude laissée aux cantons de proposer des rabais supplémentaires (mais à leur charge pour ce qui est du volet unireso).
Pas de recours ?Sur la forme, il y a eu effectivement une mauvaise transcription du texte remis à la Chancellerie d’Etat par les initiants. Hier, ceux-ci ont sorti les pièces du dossier et montré que, contrairement à ce que laisse entendre l’arrêt de la Chambre administrative, il n’y a pas eu deux textes simultanés mais deux versions successives. Et la première a formellement été annulée – la pièce barrée par le Service des votations et élections a été distribuée aux journalistes par l’Avivo – pour faire place à une seconde version, effectivement différente de celle inscrite dans la brochure officielle. La mention de l’âge de la catégorie junior disparaît dans l’information aux électeurs, tout en étant citée dans l’explicatif du texte.
La Chambre administrative a pour sa part estimé que l’ambiguïté était par trop importante et a donc annulé la votation. Ceci en n’admettant qu’un seul des deux recours, celui de M. Ceszkowski, l’action de M. Zaugg étant jugée hors délai. Une telle contestation doit en effet être déposée dès que le problème est constaté. M. Zaugg aurait dû recourir depuis plusieurs semaines. En revanche, il a été accordé le bénéfice du doute à M.Ceszkowski.
L’Avivo ne va probablement pas faire recours contre cette décision. Une telle action en droit n’aurait guère de chance devant le Tribunal fédéral, estime Christian Grobet, membre du comité de l’association. Certaines voies pourraient être explorées. Ainsi, en l’absence d’un vote exprimé par le recourant, celui-ci pourrai perdre sa qualité pour agir.
Pas de vote avant l’étéDans tous les cas, l’Avivo s’estime lésée. «Une campagne de votation coûte cher», rappelle Jean Spielmann, président intérimaire de l’Avivo. Mais il admet qu’il est sans doute plus simple de laisser le peuple se prononcer. «D’autant plus qu’il n’aime pas être amené à revoter sur un sujet qu’il a tranché, il est bien possible que l’acceptation soit encore plus forte.»
Quant au nouveau scrutin, celui-ci ne saurait avoir lieu avant l’été, a expliqué jeudi Charles Beer, président du Conseil d’Etat genevois, dans un point de presse. Le scrutin suivant est celui du 22 septembre. Le président du Conseil d’Etat a présenté «ses regrets» aux citoyens genevois, qui voient leur décision annulée. Il a également annoncé que la Chancellerie a été chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements internes qui ont conduit à cette situation. Enfin, relève le magistrat, la loi d’application, qui est actuellement gelée en commission des transports et dont l’exécutif cantonal demandait le traitement encore mercredi dernier, restera au frigo jusqu’à nouvel ordre.
Quant au texte qui sera de nouveau présenté aux citoyens, il ne semble pas qu’il soit possible en l’état de le rendre plus lisible. Outre la polémique sur cette question de l’âge, une rédaction fautive prévoit aussi une carte journalière valable une heure, ce qui ne fait guère sens.
Le grand perdant : le peupleLa Chambre administrative a sévi. Elle a purement et simplement annulé une votation, un acte rarissime et tout sauf anodin.
Sur la forme, on peut sans doute la comprendre: elle a sanctionné une administration cantonale qui a fonctionné avec un dilettantisme coupable dans cette affaire et qui s’est montrée incapable, une fois le problème constaté – deux versions différentes d’une même initiative ont été utilisées à divers stades de la procédure –, d’y mettre bon ordre. Et elle a aussi sûrement voulu punir des initiants qui ont fait preuve d’un certain amateurisme en déposant un texte qui aurait mérité relecture.
Reste que, sur le fond, on peut aussi déplorer la méthode de l’instance de droit, qui a rendu un jugement teinté de politique. Dans la personnalisation extrême qu’elle se permet dans son texte de certains acteurs du dossier. Dans sa manière de procéder ensuite: les parties n’ont pas été auditionnées alors que cela aurait permis de lever certaines ambiguïtés que la Chambre administrative reproduit de manière coupable. Dans son choix de communication, enfin. Lier deux affaires, celle de la votation et celle de la gouvernance des TPG, pour ensuite balancer un tel pétard la veille de Pâques, relève d’un manque de courtoisie évident.
Car, dans cette affaire, c’est le peuple qui est la principale victime. Sa décision – qu’elle plaise ou non – a été jetée aux orties. Sur ce point, on ne peut pas dire que la jurisprudence qui a été créée soit de bon augure. Généralement, pour ce type de dossiers, les juges estiment que le doute doit profiter au peuple.
Pas dans cette affaire : alors que près de dix points séparaient les «oui» et les «non» et que le risque d’une hausse des tarifs pour les jeunes – argument qui profitait aux opposants de l’initiative – avait clairement été identifié, l’instance de droit estime que cela n’est pas suffisant pour garantir la sécurité du résultat du vote populaire.
Cela n’est guère crédible. Et donne un petit fumet de règlement de comptes à cet arrêt. Pas sûr que le peuple appréciera. Il devra se prononcer une nouvelle fois sur un texte qu’il a déjà accepté. La logique voudrait que l’acceptation soit alors plus forte lors de ce second scrutin.
Et si les opposants à ce texte – qui ont mené une campagne modeste – parviennent en y mettant les moyens financiers à retourner l’opinion publique, cela sera surtout une nouvelle défaite de la démocratie.