Le nouveau réseau TPG ne séduit pas
En fin de semaine dernière, les TPG ont annoncé une stagnation du nombre de leurs clients en 2012 (+ou-1%). Si le chiffre d’affaires affiche cependant une hausse de 5,7%, c’est grâce à l’augmentation du nombre d’abonnements vendus et à la hausse des tarifs entrée en vigueur en décembre 2011.
TRANSPORTS PUBLICS • L’importante augmentation de l’offre en 2012 n’a pas suffi à attirer de nouveaux usagers. La vitesse commerciale du réseau est notamment pointée du doigt. Contre toute attente, les Transports publics genevois (TPG) ont annoncé vendredi une stagnation du nombre de leurs clients en 2012 (+ou-1%), alors même que l’offre a augmenté de quelque 12%.
Conséquence directe de ce piétinement, le nombre de billets vendus à l’unité a connu une diminution drastique: moins deux millions de tickets émis, selon notre extrapolation à partir des chiffres globaux mis à notre disposition. Les comptages définitifs seront présentés au conseil d’administration des TPG le 18 mars seulement.
Si le chiffre d’affaires affiche cependant une hausse de 5,7% à 133 millions de francs, c’est grâce à l’augmentation du nombre d’abonnements vendus d’une part, et à la hausse des tarifs (+6,56%) entrée en vigueur en décembre 2011 d’autre part.
«Les pertes subies en termes de voyages avec les billets individuels sont largement compensées par ceux générés par une clientèle davantage fidélisée», tempère la Direction générale de la mobilité (DGM). Qui estime par ailleurs que d’autres facteurs expliquent cette baisse, comme «l’importante augmentation de la part modale de la marche et du vélo depuis quelques années sur les trajets de courtes distances».
300000 francs d’amende ?En termes de voyages par kilomètre – l’indicateur utilisé pour calculer la fréquentation – , soit la somme des distances parcourues par l’ensemble des voyageurs, l’augmentation se chiffre à 2,3% en 2012 par rapport à 2011. Or le contrat de prestations 2011-2014 passé entre le Conseil d’Etat genevois et les TPG prévoit un certain nombre d’objectifs à atteindre. Notamment en termes d’augmentation de la fréquentation. Elle aurait dû tourner autour de +7% pour l’année 2012, dans la droite ligne des statistiques européennes.
Toujours selon le contrat de prestations, «l’objectif est atteint lorsque l’offre globale réalisée est égale ou supérieure à la valeur-cible annoncée». En cas contraire, les TPG «doivent expliquer les causes de ces résultats» et un «système de pénalité est activé», en l’occurrence une «amende» de 300000 francs pour ce seul aspect. Les TPG devront-il s’acquitter de cette somme ? Nous n’avons pu obtenir de réponse à cette question.
Ces mauvais résultats sont en partie explicables par un effet de tassement. Jusqu’ici, le retard que le canton avait à combler en matière d’offre de transports par rapport aux autres villes de Suisse était tel que chaque place créée était automatiquement occupée par un usager. «Désormais, les nouveaux clients devront aller se chercher avec des lignes prolongées au-delà des frontières du canton et en lien avec le développement du CEVA», estime Philippe Anhorn, porte-parole des TPG.
Vitesse déterminanteLa vitesse commerciale – en moyenne 16,30 km/h en 2011 – est jugée déterminante pour attirer de nouveaux clients par Thibault Schneeberger, cosecrétaire d’Actif-Trafic. Ce qui passe, selon lui, par l’utilisation de feux prioritaires et la création de voies en site propre.
A ce sujet, plusieurs projets sont en cours, notamment la création de voies de bus sur les routes de Pré-Bois et de Drize, le boulevard Dalcroze et la rue François-Dussaud. Des aménagements sont également prévus pour séparer le tram 15 du trafic individuel sur l’axe des Acacias. Concernant les feux donnant la priorité aux TPG, des mesures ont été introduites sur le pont du Mont-Blanc et on nous en promet d’autres sur l’ensemble de la ligne 14.
Reste la question des tarifs. Dans quelle mesure l’augmentation des prix a-t-elle freiné la fréquentation ? «le nombre d’abonnements seniors mensuels a augmenté de 5,9% malgré une hausse des tarifs de 11,1%», rétorque la DGM.
Qui joue cependant la prudence. Ainsi, il n’est pas prévu, pour l’heure, d’augmenter les tarifs dans le prochain contrat de prestations 2015-2019, assure Blaise Hochstrasser, directeur général de la mobilité.
Entre constat d’échec et déceptionPour Rémy Pagani (Solidarités), conseiller administratif chargé de l’Aménagement en Ville de Genève, la stagnation de la clientèle des TPG est «un échec» : «C’est un constat que je fais depuis un an! réagit le maire, membre suspendu du conseil d’administration de la régie, en guerre ouverte contre cette dernière et le Conseil d’Etat. Si Michèle Künzler (cheffe de la Mobilité, ndlr) se félicite que les améliorations intervenues ensuite aient porté leurs fruits, elle peut seulement se targuer d’avoir évité une baisse de la clientèle ! Le problème, c’est qu’il s’agissait d’en gagner !»
Président de la commission des transports du Grand Conseil, le socialiste Antoine Droin est agacé d’apprendre par la presse cette stagnation. «On va poser des questions, et s’il n’y pas eu une augmentation de la fréquentation, c’est un problème !»
Son collègue PLR à la commission Jacques Jeannerat n’en voit a priori pas. Au contraire : «C’est probablement parce qu’on a atteint un niveau d’offre satisfaisant, en répondant aux besoins d’une partie de la population. Le reste ne désire pas lâcher son véhicule. Ce résultat est un message. Les transports en commun ne doivent pas être une finalité absolue.» Commercialement, pourtant, il reconnaît un échec, puisque «toute entreprise doit attirer le plus possible de clients». C’était clairement le but de l’extension importante du réseau, rappelle la commissaire socialiste Loly Bolay. «Mais je ne parlerais pas d’échec, car il faut peut-être davantage de temps pour convaincre les gens d’abandonner leur voiture.»
Pour expliquer cette stagnation, tous nos interlocuteurs insistent sur la vitesse commerciale, beaucoup trop lente, comme le souligne d’ailleurs une étude d’Actif-Trafic qui, par ailleurs, classe fort bien le réseau genevois en comparaison suisse. Le blocage est politique, souligne-t-on à gauche : «La droite favorise le libre choix du transport, c’est-à-dire la voiture. C’est un frein terrible puisque les bus et trams ont peu de voies propres», résume Antoine Droin.
M. Jeannerat conteste : «La Constitution défend le libre choix du transport. Mais la complémentarité ne signifie pas ‘tout partout’. Il faut des voies propres pour les transports en commun, et d’autres réservées aux véhicules privés.»
Sur un plan «technique», M. Pagani rappelle les «péchés originels» du nouveau réseau, mis en lumière par une étude indépendante que la Ville avait commandée.
Gros défaut : les interfaces de transbordement qui sont «saturées», commence-t-il. Et ce même si, vendredi, les TPG et le Département de la mobilité annonçaient que «le nombre de transbordements, notamment à Bel Air et Plainpalais, est beaucoup moins important que ce qui avait été planifié». Antoine Droin n’en démord pas : «Bel Air, la gare, Plainpalais : c’est catastrophique !»
«Seule une minorité, depuis le changement, y a perdu, et le réseau TPG a été bien noté par l’enquête d’Actif-Trafic, conteste un administrateur des TPG, qui désire rester anonyme.
Autre handicap majeur, reprend M. Pagani : «Avoir totalement balayé le concept de destination, en obligeant les passagers à changer de ligne pour traverser la ville. La preuve qu’il y a un problème avec ce concept rigide, c’est qu’on réintroduit deux lignes de bus pour compenser.»
La hausse des tarifs concomitante au nouveau réseau explique-t-elle la stagnation de la clientèle ? «Je m’y suis opposé par deux fois. Mais elle n’a à mon avis pas dissuadé les clients, car une grande partie sont des usagers captifs, qui n’ont d’autre choix que d’emprunter les TPG, à l’image des jeunes.»
Pour convaincre de nouveaux clients d’abandonner leur véhicule motorisé, il faut, insiste M. Pagani, jouer sur plusieurs facteurs : «Étendre l’offre, augmenter la qualité, et donc la vitesse de croisière, et réduire les prix. Or Genève s’est contenté d’étendre le réseau», conclut-il. D’où l’insatisfaction des usagers, «que le taux de réclamation revenu péniblement au niveau de 2010 ne doit pas cacher. Car les clients ont laissé tomber».
Trois questions à...Thibault SchneebergerCosecrétaire d’Actif-Trafic.
Les Transports publics genevois (TPG) annoncent une stagnation de la fréquentation. Cela vous étonne-t-il ?L’offre a augmenté en quantité, mais pas en qualité. Il n’y a pas suffisamment de places offertes aux heures de pointe dans les trams. Même plus longs, ils sont toujours bondés.
Vous pointez du doigt les problèmes de transbordement. Que préconisez-vous ?Les gens râlent moins, mais cela reste compliqué pour toute une série de personnes : celles qui sont en chaise roulante, avec une canne ou une poussette. Les TPG s’en rendent bien compte puisqu’ils mettent en place des lignes de bus pour relier Carouge et Chêne à la gare Cornavin. Pendant des années, on nous a dit que le tram était l’avenir, on a fait de gros travaux, posé des rails, consenti à d’énormes investissements, et maintenant on utilise des bus : c’est du bricolage ! A un moment donné, les TPG seront obligés de réintroduire les lignes de tram 13 et 16.
Comment accélérer la vitesse commerciale des bus et des trams ?Cela passe par la création de sites en voie propre et la généralisation de feux prioritaires pour les TPG. On ne peut pas arrêter un tram avec 200 ou 300 personnes à l’intérieur pour laisser passer des voitures. Pour l’instant, il manque une volonté politique au Grand Conseil allant dans ce sens.